D’abord diffusé clandestinement à Prague en 1976, Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal dénonce tous les progressismes totalitaires et productivistes, avec humour et véhémence, avec un sens aigu du grotesque et de la dérision, avec un immense respect pour les livres, ennemis irréductibles de la pensée unique et de la dictature. Rat au fond de son cloaque, travaillant sans relâche, Hanta presse depuis trente-cinq ans les vieux papiers et repère parfois dans le flot des promis au pilon le dos d’un volume précieux qu’il sauve, repêche et lit, comme on sirote un nectar. Erudit raffiné, crasseux, buveur de bière et solitaire, Hanta célèbre les voix des poètes et les joies du savoir, tout en accomplissant sa besogne. « Ce massacre d’innocents, il faut bien quelqu’un pour le faire ».
Plaisir des mots
Lorsque sa presse mécanique cède la place à un modèle hydraulique, ce changement d’ère, signifié par le décor, le contraint à abandonner « l’encre et la maculature » pour « emballer des paquets d’une blancheur inhumaine ». Le metteur en scène Laurent Fréchuret et le comédien Thierry Gibault partagent une même fascination pour cet ouvrage, qui évoque aussi la monotonie absurde et entêtée du fameux Bartleby de Melville. Dans une composition sonore et lumineuse très travaillée, une mise en scène précise et soignée, le comédien révèle toute l’étendue de son talent et célèbre la puissance et le plaisir des mots contre la barbarie.
Agnès Santi
Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal, mise en scène Laurent Fréchuret, du 4 au 7 avril à 21h, sauf le 5 à 19h30, au Théâtre de Sartrouville. Tél : 01 30 86 77 79.