Théâtre - Critique

Une nuit de Grenade

Une nuit de Grenade - Critique sortie Théâtre Nanterre LA FORGE


La Forge / de François-Henri Soulié / mes Jean-Claude Falet

Grenade, 18 août 1936. La guerre civile fait rage. Les phalangistes nationalistes et la junte militaire à la solde de Franco exercent une répression impitoyable. Le poète Federico Garcia Lorca a été arrêté. Dans ce contexte, François-Henri Soulié imagine une rencontre captivante entre le célèbre compositeur Manuel de Falla, venu demander la libération de son ami Lorca, et le Gouverneur Civil José Valdès-Guzman, qui détient le pouvoir de vie et de mort sur la ville. Une confrontation remarquablement écrite entre le tyran dédié à sa cause militaire, qui se déleste des tracas de l’intelligence et de la stérilité de la pensée, et l’artiste attaché à la fonction sacrée et à la beauté libre de l’art. « Le sommeil de la raison engendre des monstres » écrit Goya dans l’une des gravures de la série Les Caprices… Un troisième personnage, le jeune Calderon, phalangiste secrétaire du Commandant, tient les comptes et les registres. Il a connu lui-même Lorca et admire sa poésie. Jean-Claude Falet fait entendre toute l’humanité et l’universalité de cet antagonisme radical entre dictature et culture qui traverse l’histoire des hommes, et fait des intellectuels et des artistes les premières cibles des régimes autoritaires. Sur le plateau du Théâtre La Forge, le bureau de Valdès devient une tente de campagne militaire, semblable à des millions d’autres installées sous d’autres cieux et à d’autres époques. Une tente blanche comme la neige qui glace les cœurs endeuillés, et comme les pages des livres que les artistes habitent et que les fascistes brûlent. Sur ses murs, l’ombre mouvante d’une danseuse flamenca – Lorca et Falla avaient en commun la passion du flamenco – bientôt s’estompe et disparaît…

Immuables mécanismes totalitaires

Cet espace à la fois réaliste et subtilement décalé se fait chambre d’écho et caisse de résonance sur la manière dont s’enclenchent les mécanismes totalitaires. Comme le prouvent tant d’écrivains tel Vassili Grossman qui traversa le nazisme et le stalinisme, ces mécanismes sont immuables. La peur, la délation, la torture, les interrogatoires… Ni caricaturaux ni manichéens, imprégnés chacun de leur propre histoire tumultueuse et de leurs souffrances, les protagonistes demeurent complexes et terriblement humains. Valdès et son enfermement sans issue dans un monde de mensonges. De Falla et son mysticisme qui appelle un besoin d’expiation. Afin de restituer toute son intensité dramatique, afin de demeurer dans la vérité humaine des personnages, ce huis clos intimiste et tendu nécessite un jeu théâtral extrêmement précis et nuancé. Tout en retenue et en émotion rentrée, François Clavier dans le rôle de Manuel de Falla est impeccable, de même que Mathias Maréchal dans celui de Valdès–Guzman, à la fois sobre, tranchant, banalement monstrueux. Mathieu Boulet est touchant dans le rôle du secrétaire. Un théâtre poignant, qui invite chacun à cultiver son intelligence et sa liberté, et célèbre le génie obstiné des artistes qui transcende la condition humaine.

Agnès Santi

A propos de l'événement


Une nuit de Grenade
du mardi 18 avril 2017 au vendredi 12 mai 2017
LA FORGE
19 Rue des Anciennes Mairies, 92000 Nanterre, France

La Forge, 17-19, rue des Anciennes Mairies, 92000 Nanterre. Du 18 avril au 12 mai 2017. Du mardi au samedi à 20h30 ; dimanche à 16h. Relâche les 24, 28, 29, 30 avril et 1er, 4 et 8 mai. Tél. : 01 47 24 78 35. Durée : 1h30.


A lire aussi sur La Terrasse

  • Théâtre - Agenda

Ça occupe l’âme

 Marion Pellissier crée un thriller [...]

Du mercredi 17 mai 2017 au 18 mai 2017
  • Théâtre - Agenda

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Rêve d’une humanité meilleure : Guy Pierre [...]

Du lundi 15 mai 2017 au 23 mai 2017
  • Théâtre - Agenda

Tesseract

Après dix ans de travail au fil de fer, Nacho [...]

Du jeudi 11 mai 2017 au 12 mai 2017