Théâtre - Critique

Un métier idéal

Un métier idéal - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point


Théâtre du Rond-Point / d’après le livre de John Berger et Jean Mohr / adaptation de Nicolas Bouchaud, Eric Didry et Véronique Timsit / mes Eric Didry

Le comédien Nicolas Bouchaud retrouve l’équipe avec laquelle il avait adapté et interprété, il y a trois ans, les confessions du « ciné-fils » Serge Daney dans La Loi du marcheur. Le projet est sensiblement le même, puisqu’il s’agit à nouveau de faire le portrait d’un homme en décrivant le métier qu’il exerce avec passion. De même que le critique de cinéma permettait au comédien d’interroger son rapport à l’art et au monde, le médecin de campagne John Sassall l’amène à questionner ses postures existentielles. Cela dit, ce second opus offre l’occasion d’une mise en abyme plus vertigineuse que le premier. Nicolas Bouchaud s’y livre à une introspection plus franchement sincère ; et, puisque le texte adapté est celui de John Berger, un filtre littéraire est ajouté au récit, créant un palier supplémentaire dans l’escalier des métaphores. Berger élucide sa démarche d’écrivain en racontant les aventures de Sassall, sorte de missionnaire mystique de la campagne anglaise. Le texte offre un miroir à Bouchaud ; l’interprétation et la mise en scène placent le spectateur dans une position de participation, qui le force à son tour à l’introspection. Une telle construction constitue une redoutable prise de risque pour le comédien, qui passe d’un niveau de jeu à un autre en virtuose des paradoxes de son métier. On savait que Nicolas Bouchaud est l’un des plus grands acteurs de sa génération : ce spectacle confirme sa maîtrise jubilatoire et sidérante des arcanes de son art.

Post tenebras lux

On pourrait sans doute trouver, dans une archéologie fantasmée et naïve, la figure synthétique du prêtre comédien et guérisseur, capable de solliciter les puissances invisibles pour soigner les vivants en les réconciliant avec les morts, et ainsi remarquer que le théâtre est puissante médecine. Même vertu thaumaturgique, même capacité performative, même puissance purgative chez tous ces sorciers ! Mais au-delà de cette première analyse, il en est une autre que suggère John Sassall lui-même. En comprenant qu’il ne peut être bon médecin qu’en se mettant à la place du malade, il suggère que l’idéal de tout métier, comme de toute posture existentielle, est de parvenir à constituer sa subjectivité dans le dialogue avec autrui, en assumant son désir hors de l’emprise de celui des autres. En aménageant le mime de ce rapport complexe entre le comédien et le public, la mise en scène d’Eric Didry est d’une audace et d’une intelligence remarquables. Nicolas Bouchaud s’adresse au spectateur par le jeu de questions apparemment anodines, mais qui le renvoient, dans le secret de son intimité, à l’individu qu’il croit être. Le risque est grand que le spectateur se mette à répondre. La force charismatique de Nicolas Bouchaud, que la convention fait seul maître du jeu, maintient le spectacle à l’abri de cet éclatement. Au fur et à mesure des scènes, la lumière se fait : dans l’esprit de Sassall, dans celui de l’interprète qui dialogue avec ses fantômes et le roi Lear, dans celui du spectateur. La scénographie d’Elise Capdenat et les lumières de Philippe Berthomé suggèrent magnifiquement cet éclairage progressif : peu à peu, le décor sort du brouillard, la mélancolie se dissipe et le spectateur acquiert la conviction de la possibilité d’une plus grande lucidité. Rares sont les artistes et les spectacles capables d’une telle prouesse.

Catherine Robert

 

A propos de l'événement


Un métier idéal
du jeudi 21 novembre 2013 au samedi 4 janvier 2014
Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris.
Du 21 novembre 2013 au 4 janvier 2014, à 21h ; le dimanche à 15h30 ; relâche le lundi et le 24 novembre, les 25 et 31 décembre et le 1er janvier. Tél : 01 44 95 98 21. Programmation du Festival d’Automne à Paris.

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