Théâtre - Critique

Thomas Ostermeier actualise et affaiblit l’errance de Lear

Thomas Ostermeier actualise et affaiblit l’errance de Lear - Critique sortie Théâtre Paris La Comédie-Française


texte d’après William Shakespeare / traduction Oliver Cadiot / mise en scène Thomas Ostermeier

Thomas Ostermeier poursuit son exploration de Shakespeare, initiée en 2006 avec  Le Songe d’une nuit d’été, suivi de Hamlet, Othello, Mesure pour mesure, Richard III, jusqu’à La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez, en 2018, avec la Troupe de la Comédie-Française. Avec cette adaptation, Le Roi Lear entre au répertoire de la prestigieuse maison. Olivier Cadiot signe à nouveau la traduction, et la même passerelle traverse le parterre, au cœur du public. Certaines scènes ont été coupées, et des personnages supprimés, tels les maris de Regan et Goneril, le metteur en scène accordant ainsi pleins pouvoirs aux rôles féminins des deux sœurs, interprétées avec une jubilatoire efficacité transgressive par Marina Hands et Jennifer Decker. Réussie, la scène inaugurale dit le drame de Lear, autoritaire et sénile : afin de  se délester du fardeau du pouvoir en faveur d’une jeunesse « plus énergique », Lear scinde son royaume en parts mesurées à l’aune des paroles de ses trois filles, auxquelles il demande de lui exprimer leur amour : les deux aînées se conforment au désir du père avec application, mais la cadette Cordelia (sobre et digne Claïna Clavaron) ne se plie pas au jeu hypocrite. Comme s’il regardait avec ses oreilles, Lear se montre alors incapable de voir au-delà des mots, il maudit sa fille préférée et bannit le fidèle Kent (interprété par la jeune Séphora Pondi). En parallèle, Gloucester (Eric Génovèse) aussi se laisse berner par son fils Edmund le bâtard (Christophe Montenez se régale), jusqu’à souhaiter la mort de son fils légitime Edgar (Noam Morgensztern). La crédulité de cette ancienne génération n’en finit pas d’étonner, et convaincrait de la nécessité de laisser place aux jeunes si ceux-ci n’étaient pas si effroyablement cupides !

Stratégies de la langue

Sublime tragédie de la rupture et du chaos, imbriquant intrigues familiales et politiques, Le Roi Lear questionne comme toute l’œuvre de Shakespeare l’exercice du pouvoir et la fragilité des êtres. Instrument de conquête et d’orgueil dans un monde à bout de souffle, la parole y est dévoyée par des stratégies dont l’efficacité interroge profondément la psyché humaine. En privilégiant le second degré ironique, en multipliant tout au long de la représentation les répliques en adresse directe au public d’aujourd’hui, la mise en scène de Thomas Ostermeier semble curieusement renoncer à la profondeur et à la complexité de la fable. Sur la lande désolée et crépusculaire, dont la matérialité dès le début de la pièce relègue les fastes royaux aux oubliettes, le langage frappe par ses excès bouffons, ses commentaires intempestifs. Dans le rôle-titre Denis Podalydès, toujours si subtil et si émouvant, paraît parfois ici comme tenu à distance. Le souci évident de notre actualité, qui se lit notamment par la volonté de donner sur scène plus d’importance aux rôles féminins et à la diversité, mais aussi par la fin choisie qui se démarque de Shakespeare pour consacrer la victoire du vieux mâle pourtant dévasté, imprime sa marque sur le geste de mise en scène. Tout est possible au théâtre, surtout avec aux manettes un capitaine aussi talentueux que Thomas Ostermeier, mais force est de constater que la légèreté et le grotesque assumés empêchent l’émotion, entravent le tragique, malgré quelques scènes très belles.

Agnès Santi

A propos de l'événement


Le Roi Lear
du vendredi 23 septembre 2022 au dimanche 26 février 2023
La Comédie-Française
Place Colette, 75001 Paris.

En alternance. Matinées à 14h, soirées à 20h30. Tél. : 01 44 58 15 15. Durée : 2h40 sans entracte. www.comedie-francaise.fr


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