Théâtre - Critique

Temps

Temps - Critique sortie Théâtre


Le vent souffle fort sur le plateau, les voiles s’élèvent ; on entrevoit la lumière d’un soleil d’or symbolique. Le mur est un écran de toiles transparentes, un mur protecteur contre la violence des vents quand la température descend à – 60°, une paroi qui enserre la ville minière de Fermont dans le Nord, à la frontière du Labrador. Les acteurs portent beau sur la scène, accent québécois, chevelures souples et rousses des femmes et longs manteaux de fourrure polaire pour tous. Un frère russe, Arkadiy/Archange (Valeriy Pankov), personnage visionnaire tendu vers la conquête et l’avenir, surgit sur la scène avec son amie interprète (Anne-Marie Olivier). Cet Archange slave est frère d’un Major (Gérald Gagnon), revenu de mission en Afghanistan, impliqué dans le temps présent, tout aussi étonné par la découverte d’un jumeau et d’une sœur aînée, Noella de La Forge (Marie-Josée Bastien). Cette dernière, sourde et muette suite à une violence lointaine, parle le langage des signes ; une interprète (Linda Laplante) l’accompagne. La fille et soeur de la maison rend le salut possible ; porteuse de mémoire, elle tient le temps passé. Et les liens se resserrent autour du père (Jean-Jacqui Boutet), vieil homme imposant, affaibli par la maladie d’Alzheimer, rêvant de rejoindre Saint Petersbourg par le Détroit de Behring. Ingénieur, il a fondé la ville minière ; poète, il est aussi un père incestueux dont Noëlla a été la victime enfantine : « tout le monde savait et personne n’en a rien dit ».

Tuer le père

La mère s’est immolée par les flammes dans la forêt qui s’est embrasée, faisant détaler des milliers de rats qui envahissent l’espace sonore de leurs cris aigus, telle est la malédiction qui fait résonner les sirènes stridentes à chaque appel des rats. La tante maternelle (Isabelle Roy), raconte à sa façon vindicative, le malheur familial. Reste une jeune belle-mère (Véronique Côté), attentive à l’œuvre littéraire du père. Noëlla se souvient des paroles paternelles tendres pour sa mère défunte : « Je t’aime tant que ce sera Noël tous les jours de la vie. » Mais pour extirper le Mal du monde, il faudra tuer la Bête qu’est le père, tout en le faisant jouir encore. Au milieu de ce noir de l’existence, la lumière revient avec le chant  printanier des oiseaux. Au-delà des bonnes intentions, Temps dénonce certes la violence du monde, dont l’inceste familial qui dévalorise les sentiments et l’érotisme. La victime humiliée se débarrasse de sa culpabilité et dénonce le violeur, mâle dangereux et pervers. Quant à l’image du rat, héros douteux de la lutte pour survivre, il est à la fois porteur de vie et de mort. Dans ce chassé-croisé de symboles un peu simplistes, les comédiens, plantés sur la scène et danseurs de rock à l’occasion, transcendent admirablement le propos sombre et amer grâce à une sérénité bien vivante.

 Véronique Hotte


Temps, de Wajdi Mouawad ; mise en scène de l’auteur. Du 2 au 4 avril, à La Comédie de Clermont-Ferrand. Le 6 avril au Théâtre Jean Lurçat d’Aubusson. Le 10 avril à la Scène nationale d’Evreux Louviers. Les 12 et 13 avril à la Scène nationale du Petit Quevilly Mont Saint Aignan. Le 10 mai, Théâtres en Dracénie à Draguignan. Du 15 au 25 mai 2012 à 20h30. Relâche les 20 et 21 mai. Théâtre National de Chaillot, 1 place du Trocadéro 75116 Paris.Tél : 01 53 65 30 00. Spectacle vu au Grand T de Nantes. Texte publié à L’Avant-Scène Théâtre.

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