Théâtre - Entretien

Stéphane Cottin

Stéphane Cottin - Critique sortie Théâtre


« Si nous nous mettions à brûler les livres, alors, vraiment, nous aurions perdu la guerre. » déclare le professeur. Quelle guerre ?
Pour ces intellectuels qui ont défini leur humanité dans leur rapport à la littérature, chaque livre constitue une part d’eux-mêmes, de leur identité, de leur structure mentale. Leur vision du monde passe par ce prisme. D’une certaine façon, ils sont entrés en littérature comme d’autres en religion. Face à la destruction, à la dureté des conditions matérielles, ils vivent derrière le rempart de leur bibliothèque, ce que nous avons symbolisé par la scénographie. Brûler les livres serait sceller la victoire des Barbares qui sèment la terreur dans la ville, mais aussi céder aux attaques du froid et de la peur.
 
La guerre change radicalement le rapport au temps. Qu’est-ce qui est révèlé à travers ce basculement ?
L’hypothèque pesant sur l’avenir et la menace de la mort ramènent en effet l’urgence de vivre dans l’ici et maintenant. La guerre fait éclater leur cadre de pensée et leur hiérarchie de priorités, dictés jusqu’alors par l’orthodoxie du dogme intellectuel. Sommés par la situation d’aller à l’essentiel, ils doivent choisir les livres qu’ils seraient prêts à sacrifier pour quelques instants de chaleur. Quel ouvrage correspond à l’irréductible de la nature humaine ? Finalement, le professeur privilégie un roman d’amour, presqu’un roman de gare, par rapport aux chefs-d’œuvre de la littérature, autrement dit l’émotion sur l’intellect, l’imaginaire pour s’échapper de la réalité concrète. Peut-être est-ce dans notre capacité d’émotion que réside notre singularité d’être humain, plus encore que dans nos facultés intellectuelles. Se pose évidemment ici la question de la place et du rôle de la littérature, et plus largement de la culture, dans la société.
 
« Brûler les livres serait sceller la victoire des Barbares qui sèment la terreur dans la ville, mais aussi céder aux attaques du froid et de la peur. »
 
A mesure qu’ils liquident les livres,  resurgit le désir charnel, presque animal.
La souffrance physique, permanente, qu’inflige le froid intense, aiguise la perception du corps et ravive l’animalité. Le désir relève moins ici de la séduction que de la pulsion. Le dépouillement des attributs de la culture fait ressortir un trait immanent de la nature humaine : son statut d’animal pensant.
 
Comment incarner ces débats dans le jeu ?
A la joute intellectuelle se superposent plusieurs récits, qui interfèrent et trament un sous-texte : les rivalités amoureuses au sein de ce trio, les rapports complexes entre le disciple et le maître, qui reproche à ce dernier de ne pas le remettre en question. L’enchevêtrement des trois niveaux de lectures charge les répliques d’une forte densité affective et charnelle. Avec les comédiens, nous abordons le texte à travers ses enjeux très concrets, voire triviaux, pour aller jusqu’aux résonances métaphysiques. Le débat doit être vivant, drôle, tendu comme sur un ring.
 
Entretien réalisé par Gwénola David
Les combustibles, d’Amélie Nothomb, mise en scène de Stéphane Cottin, du 12 mars au 20 avril 2008, à 20h45, sauf dimanche 16h, relâche lundi et mardi, au Théâtre Daniel-Sorano, 16, rue Charles Pathé, 94300 Vincennes. Rens. 01 43 74 73 74 et www.espacesorano.com.

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