Théâtre - Critique

Souvenirs d’un Européen

Souvenirs d’un Européen - Critique sortie Théâtre Sceaux Les Gémeaux


Les Gémeaux / texte de Stefan Zweig / adaptation Laurent Seksik / mes Patrick Pineau et Jérôme Kircher

C’est dans sa fonction première et essentielle que s’affirme ici le théâtre, celle de l’adresse au public, du texte incarné, celle qui accorde aux mots leur pleine puissance et résonance, qui sculpte aussi leur beauté et leur mouvement précis et condensé. C’est un immense auteur qui se fait entendre, dont les nouvelles si saisissantes ont d’ailleurs régulièrement été portées à la scène – Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, Le Joueur d’échecs, Amok, et récemment aux Gémeaux La Pitié dangereuse, éblouissante mise en scène de Simon Mc Burney… Un auteur aussi de riches biographies qui disent tout son amour de la culture – Marie-Antoinette, Joseph Fouché… Autrichien, juif, écrivain, citoyen du monde humaniste et pacifiste, Stefan Zweig incarne mieux que tout autre cet esprit viennois brillant et tolérant. « Vivre et laisser vivre, c’était la maxime de Vienne », souligne-t-il… S’il rédigea son autobiographie, ce fut surtout pour témoigner de ce basculement terrifiant qui emporta l’Europe tout entière. Pour raconter et commenter l’histoire d’une vie mais aussi de tous ses frères humains, à travers un acte testamentaire destiné aux générations futures, avant la fin terrible, un soir de février 1942 au Brésil.

Présence d’acteur, et fantôme d’écrivain

« Jamais, (…) une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle puissance intellectuelle dans une telle décadence morale. » Brahms, Mahler, Strauss, Freud, Schnitzler, Hofmannsthal… vécurent à Vienne, avant qu’elle ne devienne une ville de province allemande. L’adaptation de Laurent Seksik se concentre sur le parcours de l’écrivain, qui tragiquement éclaire cette terrifiante chute. Ecrivain célébré puis juif honni, Stefan Zweig a quitté l’Autriche en 1934 pour Londres, avant la Shoah. Quel effarant contraste entre la culture rayonnante du début du siècle, bruissant entre cafés viennois et Burgtheater (même si le maire Karl Lueger de 1897 à 1910 fut déjà antisémite), et la défaite de la raison, le triomphe d’une brutalité et d’une barbarie que rien n’a pu empêcher, y compris un haut degré de civilisation. « Pestilence des pestilences », le poison du nationalisme a anéanti l’Europe. Grâce à un jeu d’une netteté et d’une subtilité remarquables, d’une sobriété et d’une intériorité retenues qui font entendre chaque mot, Jérôme Kircher accorde à ce témoignage toute sa puissance dramatique, et toute sa poignante lucidité. Co-mise en scène avec son ami Patrick Pineau, la pièce évite tout superflu et se concentre sur l’essentiel. En cela, la mise en scène fait écho à l’écriture si extraordinairement limpide de Stefan Zweig. Dans cet espace étroit, réduit, quasi nu, seule compte cette voix d’une Mitteleuropa disparue. C’est une présence d’acteur, et c’est un fantôme d’écrivain, qui nous alerte, en sachant bien que ni le droit ni la culture ne peuvent in fine protéger l’homme contre sa propre barbarie. Mais il est toujours possible d’apprendre de l’Histoire…

Agnès Santi

A propos de l'événement


Souvenirs d’un Européen
du mercredi 10 janvier 2018 au samedi 20 janvier 2018
Les Gémeaux
49 Avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux, France

à 20h45, relâche lundi, dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com


 


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