Avignon Entretien / Francis Parny

S’engager pour le partage de la culture

S’engager pour le partage de la culture - Critique sortie Avignon / 2010


Peut-on parler de désengagement de l’Etat dans la politique culturelle du gouvernement actuel ?
Francis Parny : Plutôt que de parler de désengagement, ce qui limite l’analyse aux questions financières, il faut parler d’un véritable engagement du gouvernement actuel aux côtés des industries culturelles dans le but de favoriser au maximum ce qu’on peut appeler la « profitabilité ». Le ministère de la Culture avance sur trois pieds : le patrimoine, le soutien aux industries culturelles et, coincée entre les deux, la création. Le ministère, et la page d’accueil de son site consacrée à son cinquantenaire l’atteste assez, accorde une place prépondérante aux médias. La réforme de l’audiovisuel n’a pas eu pour but de dégager les programmes des lois de l’audimat mais de transférer les fonds publicitaires vers TF1 et M6, c’est-à-dire vers les amis du président de la République. De même, les lois visant les soi-disant pirates de la toile n’ont pas d’autre but que la maîtrise d’Internet. Une telle politique est un engagement actif : c’est du libéralisme. Certes, dans les choix financiers, on constate un désengagement pour la création, mais sur le fond, cette politique s’engage pour que le marché ne subisse pas d’entraves de l’Etat.

Pourquoi une telle volonté de contrôle ?
F. P. : Un des grands enjeux dans le domaine de la culture, c’est celui du contrôle de la diffusion. Or, aujourd’hui, par la diffusion, on tord le cou à la diversité culturelle. Les œuvres sont transformées en produits et c’est là qu’est le risque majeur. La question est alors de savoir comment sauvegarder malgré tout une conception du partage de la culture contre sa marchandisation. Le Président de la République affirme vouloir élargir la diffusion. Mais sur quelles bases ? On ne peut pas élargir la diffusion en répondant à la demande telle qu’elle est forgée dans le goût dominant. Remplir les théâtres en y jouant les grandes œuvres classiques, pourquoi pas, mais comment traiter alors la création contemporaine qui ne fait pas salle pleine ? Amener la Comédie-Française en banlieue, c’est une idée formidable, mais pas au prix de la disparition de la MC 93 ! Le gouvernement et le Président de la République suggèrent d’adapter l’offre à la demande : ça n’est pas là le principe d’une politique culturelle digne de ce nom !

« Le gouvernement et le Président de la République suggèrent d’adapter l’offre à la demande : ça n’est pas là le principe d’une politique culturelle digne de ce nom ! »

Comment s’opère cette réduction de l’offre ?
F. P. : D’abord par les coups portés à la profession et notamment aux intermittents. Ensuite par les coups portés à l’action éducative. On abandonne la promesse d’une demi-journée d’éducation artistique dans les collèges ; on supprime les aides aux actions de médiations. Bref on ne travaille pas à ce que la demande s’élargisse et, peu à peu, elle s’atrophie. Il en va de même avec la loi sur la gratuité des musées. C’est en soi une mesure formidable. Mais c’est l’accès aux collections permanentes qui est gratuit. L’accès aux expositions temporaires qui sont souvent la vitrine de la création contemporaine, demeure payant : ce qui fait le demain commun ne fait pas l’objet d’un partage. On investit dans le patrimoine plutôt que dans la création. Il y a là un véritable contresens sur la place des arts et de la culture dans notre société.

Les collectivités locales peuvent-elles pallier ce retrait de l’Etat ?
F. P. : Cela n’est ni possible, ni souhaitable. Toutes les collectivités locales sont étranglées financièrement. Lorsque la Région Ile-de-France investit 12,5 millions d’euros dans plus de deux cents conventions de permanence artistique, c’est à la fois beaucoup et très peu. Pensez que l’Etat aide souvent un seul CDN par une subvention de plusieurs millions ! L’Etat est le seul à pouvoir maintenir une égalité entre les territoires. La liberté de la création passe par le soutien de l’Etat.

Quelles solutions mettre en œuvre alors ?
F. P. : Il est nécessaire de mettre en place une véritable démocratie culturelle et de passer de la phase de la démocratisation à celle de la démocratie. Pour cela, il faudrait que tous, élus, artistes et spectateurs/citoyens réfléchissent ensemble. Le travail des conférences territoriales doit se faire dans ce cadre à trois composantes. Il ne s’agit plus seulement aujourd’hui d’élargir le cercle des connaisseurs : il faut désormais être véritablement dans le partage. Et faire en sorte que le grand nombre n’ait pas seulement accès aux têtes de gondoles et à ce que les médias, qui règlent l’accès aux œuvres, présentent, mais ait également accès à l’innovation, à la diversité et à la recherche dans le domaine des arts et de la culture.

Propos recueillis par Catherine Robert

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