Théâtre - Critique

Scènes de la vie d’acteur

Scènes de la vie d’acteur - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point


Théâtre du Rond-Point / de Denis Podalydès / mes et jeu Scali Delpeyrat

L’admiration mutuelle est avouée entre Denis Podalydès et Scali Delpeyrat. L’un reconnaît le talent de son cadet du Conservatoire, l’autre dit retrouver dans « les textes tchekhoviens » du premier l’essence d’une vocation fondée sur « le manque » qui pousse les acteurs à se montrer aux autres. Le pari est osé d’ainsi dévoiler la béance. Cette dernière est d’abord celle du fameux trou, péril pour celui qui se promène dans les palais de la mémoire, et qui offre à Podalydès l’occasion d’une brillante envolée sur l’art de le contourner et d’enfin le combler. Scali Delpeyrat interprète ce morceau d’anthologie avec un brio éblouissant, et campe magistralement le Marquis du Legs, de Marivaux, pris dans les rets de sa partition et retombant in extremis sur ses « pattes légères ». Mais ce trou-là, peut-être le plus visible, car le plus technique, n’est pas le plus intéressant. L’aspect passionnant du texte de Podalydès et de l’interprétation de Delpeyrat tient à leur illustration conjointe de la phrase de Valère Novarina : « L’homme est un trou (…) et il faut jouer au bord ». Cette privation constitutive, existentielle, est celle de l’acteur nu, taraudé par l’illégitimité et le manque de confiance, que ce texte et celui qui le dit rendent poignante et captivante. Mais elle est aussi l’origine du désir.

Jouer suffit 

Tout commence avec la philosophie. Plus précisément avec le Tractacus logico-philosophicus, sur lequel le jeune Podalydès sue sang et eau, compulsant les commentaires et recopiant les exégèses d’une œuvre qui lui échappe, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il doit la fuir. Podalydès esquive la stérilité théorique en se faisant praticien des textes : ce qu’on ne peut pas dire, il faut le jouer. « Moi, je veux me fâcher, et ne veut point entendre. », dit Alceste à Philinte : voilà donc qu’il faut jouer l’homme qui ne veut plus rien dire car il hait l’hypocrisie et le masque. Delpeyrat s’empare du Misanthrope, et sa faconde bonhomme laisse paraître le subliminal souvenir d’un Podalydès plus évidemment torturé. Vient plus tard un autre indicible, plus grave et plus sombre : celui du frère suicidé, qui a choisi un silence autrement définitif que celui de la “doublure lumière“ dans lequel Podalydès se souvient de l’avoir vu depuis l’ombre de la salle. Au fur et à mesure que Scali Delpeyrat accouche le texte de son camarade, apparaît l’humilité d’un homme travaillant son humanité, cherchant en humble artisan le ton et le geste justes, avec l’humour de celui qui a compris qu’il n’y a rien sous le masque que le vide aveuglant. La personne est personne, comme le suggérait le rusé Ulysse à Polyphème, et « jouer suffit », comme le dit Scali Delpeyrat à la fin de sa contribution à Qu’est-ce que le théâtre ?, de Biet et Triau. Reste alors à bien jouer : c’est ce que sait et fait Scali Delpeyrat !

 

Catherine Robert

A propos de l'événement


Scènes de la vie d’acteur
du jeudi 10 octobre 2013 au dimanche 10 novembre 2013
Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris.
Du 10 octobre au 10 novembre 2013, à 21h ; le dimanche à 15h30 ; relâche le lundi et le 1er novembre. Tél : 01 44 95 98 21. Durée : 1h.

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