Classique / Opéra - Critique

Salomé sans voiles à l’Opéra Bastille

Salomé sans voiles à l’Opéra Bastille - Critique sortie Classique / Opéra Paris Opéra Bastille


opéra bastille / mise en scène Lydia Steier / de Richard Strauss

Adaptant la tragédie de Wilde, qui puise son inspiration dans la nouvelle Hérodias de Flaubert, relecture d’un épisode du Nouveau Testament (la décollation de Saint Jean le Baptiste), Salomé de Richard Strauss porte à son acmé la fascination teintée d’orientalisme pour les ressorts morbides du désir. L’année de la création de l’opéra à Dresde, 1905, est aussi celle de la parution des Trois essais sur la théorie sexuelle de Freud, qui a mis au point la psychanalyse pour soigner les désordres hystériques, symptômes d’une époque qui censurait le désir féminin. Les effluves érotiques et perverses, suggérées par la musique, Lydia Steier les a jugées vraisemblablement trop civilisées pour notre temps, et leur a préféré l’extrême violence d’une dystopie qui serait la conséquence ultime du nihilisme néo-libéral. L’héroïne devient ainsi une adolescente qui, dans sa rébellion à la débauche de la cour d’Herodes fêtant l’anniversaire du tétrarque dans une véranda aux allures d’aquarium, se fige dans la frigidité et, en lieu et place du magnétisme de la danse des sept voiles, s’abandonne à un viol collectif où ne manquent ni fist, ni bondage.

Radicalité gratuite

Dessinées par Andy Besuch, de dispendieuses excentricités vestimentaires de l’entourage d’Herodes contrastent avec les armures de RoboCop des soldats et des tenues post-Fukushima des fossoyeurs, dans le décor bétonné de Momme Hinrichs. L’extase de la princesse devant la tête du prophète, étendue mourante, est incarnée par le chant lascif d’Elza van den Heever qui enveloppe Jochanaan dans sa cage suspendue en l’air comme une jouissance onirique, avant que la vengeance du Page s’achève par le meurtre conjoint d’Herodes et Salome – dépassant la lettre du livret. Dans cette radicalité qui se veut politique mais affirme surtout une provocation trop excessive pour ne pas être gratuite, il faut saluer l’engagement, sinon la résilience, de la soprano sud-africaine dans un rôle-titre maculé d’hémoglobine. Possédant à la fois le caractère et la santé vocale, John Daszak, sans doute l’un des plus saisissants Herodes d’aujourd’hui, est l’autre grande incarnation de la soirée. Grimée dans une vulgarité libidineuse, Karita Mattila fait glisser Herodias vers le bouffe. On retiendra le remarquable quintette des débats des docteurs juifs. Tansel Akzeybek porte le fatal enivrement de Narraboth pour Salome. Iain Paterson offre un Jochanaan au timbre fourbi mais à la présence quelque peu écrasée par la direction solide de Simone Young, qui éclaire la plénitude orchestrale de la partition, à défaut d’envoûtante sensualité. Une Salomé très brut.

Gilles Charlassier

A propos de l'événement


Salomé
du samedi 15 octobre 2022 au samedi 5 novembre 2022
Opéra Bastille
Place de la Bastille 75012 PARIS

à 20 heures, le dimanche à 14h30. Durée : 1h40. Tél. 08 92 89 90 90.


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