Théâtre - Entretien

Roland Auzet

Roland Auzet - Critique sortie Théâtre


Comment le projet de la Maîtrise de Radio France et le livret de Laurent Gaudé résonnent-ils ensemble ?
Roland Auzet : Historiquement basée à Paris, la Maîtrise de Radio France a ouvert en 2007 un second site à Bondy, ville de banlieue parisienne très métissée et située en zone d’éducation prioritaire. Pour cette création, le chœur rassemble vingt enfants de chaque site, âgés de 10 à 16 ans. Cette mixité sociale et culturelle pose la question des origines, de l’héritage, de la construction de chacun à partir d’une mémoire plus ancienne, de laquelle on hérite, mais qui doit être explorée pour devenir un être libre. Ces thèmes parcourent toute l’œuvre de Laurent Gaudé. D’où le désir de lui commander un livret pour ce projet de la Maîtrise, qui porte cette histoire à travers les enfants qu’elle rassemble.
 
« Un tribunal d’évocation où la confrontation va nourrir peu à peu la question des identités de chacun. »
 
Le récit relève du conte. Quelle en est la portée symbolique ?
R. A. : Le texte trace le cheminement d’un vieil homme, interprété par André Wilms, baroudeur infini parvenu au seuil ultime de sa vie, qui se voit interpellé par un puis des enfants, par ses enfants orphelins. S’organise alors un tribunal d’évocation où la confrontation va nourrir peu à peu la question des identités de chacun. Découvrant leur filiation, ils vont décider ensemble de faire le voyage jusqu’à Gurspaké, destination d’origine des enfants et finale pour le vieil homme. A travers les lignes du conte peut se dégager la question de l’humanité finissante et de son nécessaire et incessant recommencement.
 
Comment la poésie propre à Laurent Gaudé a-t-elle nourri la composition musicale ?
R. A. : J’ai composé une poésie parlée et chantée avec sa langue et la musique. Son univers, traversé de souffles mythologiques ancestraux et contemporains, a défini la couleur harmonique et instrumentale. La partition, interprétée par l’Orchestre philarmonique de Radio France, est structurée sur le contrepoint entre les mots et la musique.
 
La musique a un pouvoir émotionnel très immédiat qui mobilise autrement les sens que le langage. Comment vous accordez-vous avec ces deux langages ?
R. A. : Les mots de Laurent Gaudé comportent cet aspect émotionnel. Travailler avec un grand auteur est plus simple pour nous, « gens de musique ». Il n’y a pas d’anecdote, pas d’effet … Les mots et la musique peuvent se partager le sens. Les chanteurs et les acteurs peuvent dramaturgiquement conduire leurs partitions en complémentarité et confiance. Les mots acceptent de se recomposer et la musique accepte le temps des mots.
 
La scénographie repose sur un dispositif vertical…
R. A. : Elle se pose comme l’obstacle infernal qui va venir barrer la route au vieil homme. La verticalité tranchera avec l’horizontalité du chemin de son existence et en fixera l’inexorable butée. Le choeur se déploie sur trois hauteurs, qui renvoient aux trois niveaux de lecture du dialogue entre le vieil homme et les enfants. De 8 mètres de haut sur plus de 10 mètres de large, le principal objet scénographique constitue aussi le monde, la maison, le réceptacle des enfants orphelins.
 
Comment cette création s’inscrit-elle dans le projet pédagogique de la Maîtrise ?
R. A. : Leur apprentissage, très exigeant car quotidien, les prépare à interpréter des oeuvres du répertoire et à se confronter à des créations. Ils doivent donc pouvoir porter un langage musical inédit en s’appuyant sur leur formation. Les enfants m’ont épaté par leurs qualités vocales mais aussi par leur connaissance de la musique, leur écoute, leur disponibilité, leur engagement. Cette création m’a ouvert à des échanges humainement très riches.
 
Qu’est-ce que vous ont apporté le travail et la fréquentation de ces enfants ? Comment leur enfance se glisse-t-elle dans nos plis d’adultes ?
R. A. : Ces enfants sont l’image actuelle de notre société. Ils composent l’évidence et le questionnement de notre devenir. Dans ce projet, ils ne seront pas pluriels, mais plutôt singuliers. Les enfants au sein de notre monde ne sont pas muets mais leur langage est sans doute le secret de tous les secrets. Il contient tous les mondes.
 
Entretien réalisé par Gwénola David

Mille orphelins, de Laurent Gaudé, conception, musique et mise en scène de Roland Auzet. Les 28, 29 et 30 avril et les 5, 6 et 7 mai 2011, à 20h30, le 5 mai deux représentations 14h30 et 20h30. Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre. Rens. : 01 46 14 70 00 et www.nanterre-amandiers.com. Navette assurée par le théâtre avant et après la représentation.

A propos de l'événement




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