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Théâtre - Entretien

Robert Abirached et l’éducation artistique / Le théâtre et le prince

Robert Abirached et l’éducation artistique  / Le théâtre et le prince - Critique sortie Théâtre

Entretien Robert Abirached
Débat et réflexions / Education artistique

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Ecrivain et critique, universitaire et chercheur, Directeur du Théâtre et des Spectacles au ministère de la Culture de 1981 à 1988, Robert Abirached est la mémoire vive des années de construction de l’installation des arts à l’école.

Quand commence une volonté politique efficace en matière d’éducation artistique ?

Robert Abirached : Les choses commencent réellement sous la présidence de François Mitterrand, alors que Jack Lang est ministre de la Culture et Alain Savary, ministre de l’Education nationale. Ils ont initié ensemble des projets de collaboration dont j’ai été en partie responsable rue de Valois : il s’est agi d’abord de mettre en place une option théâtre au bac, prenant acte ainsi de cette évidence désormais reconnue à l’université que le théâtre n’est pas simplement, ou d’abord, un objet littéraire. Au ministère de l’Education nationale, de fortes résistances se manifestaient contre toute invasion de la « physique » du théâtre (si j’ose dire !), lequel ne pouvait relever que de la littérature et de l’histoire. Notre projet, en un second temps, a été d’encourager, dans les lycées, une collaboration des enseignants qui le souhaitaient avec des professionnels du théâtre, pour faire un travail de création en commun. Les premières mises en place se sont faites de gré à gré. J’ai suivi particulièrement le partenariat du théâtre de Chaillot avec le lycée Molière, mais ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres, puisqu’une dizaine de compagnies s’est engagée dans ce travail, sans oublier la participation enthousiaste des Comédiens-Français.

Quelles sont les vertus de cet enseignement pratique ?

R.A. : Cet enseignement, qui est un travail pratique, requiert un engagement de la part des élèves, des praticiens et des professeurs. Il s’est révélé d’emblée répondre à des exigences proprement éducatives que le système de l’enseignement traditionnel avait de plus en plus de mal à remplir. Citons d’abord les apprentissages sociaux élémentaires : expérience d’un travail collectif (dont la responsabilité est partagée par chacun), mise en pratique d’une discipline acceptée par tous les membres de la collectivité ainsi créée (concernant, entre autres, le respect des horaires, l’attention portée à autrui, la traduction de l’effort intellectuel en engagement du corps), etc. Mieux encore : il se confirma que la pratique corporelle du théâtre, qui va de pair avec l’enseignement des rôles, a une vertu psychologique. Elle peut ouvrir sur l’inconnu qui est en chacun et révéler ainsi des personnalités endormies, empêchées ou engluées dans les difficultés du quotidien. Tout ce travail a été, à ses débuts, en butte à la défiance, d’autant plus qu’on le suspectait de ne pas assurer l’égalité républicaine due aux usagers de l’Education nationale, puisqu’il ne pouvait se produire que dans un petit nombre d’établissements à travers le territoire, faute de moyens matériels et d’un engagement suffisamment général. Ce projet, je le rappelle, n’était imposé à personne mais dépendait de la bonne volonté des professeurs et de leurs compétences. Nous le savions et nous avons tâché d’en étendre la possibilité, comprenant que son aboutissement était dans sa pérennisation au-delà de simples projets ponctuels.

Comment cette pérennisation s’est-elle amorcée ?

R.A. : Je retire le mot de pérennisation, dans la mesure où il peut faire penser à un désir ou à une volonté d’inscrire l’enseignement artistique dans un processus institutionnel. Le projet, tel que je l’ai connu et envisagé à ses débuts, consistait, avant toute chose, dans une rencontre entre un enseignant et un praticien du théâtre (je vous laisse le soin de mettre cela aussi au féminin, bien entendu !), qui construisent ensemble un projet de création. Il ne s’agissait ni de l’intrusion d’un artiste dans le cursus académique, ni de l’évasion d’un professeur vers les délices de l’art, mais bien, à chaque fois, d’une aventure commune, autorisée par la hiérarchie administrative, soit dit en passant. Ce qui facilitait ces rencontres, c’était évidemment aussi la création, dans l’enseignement supérieur, d’instituts d’études théâtrales qui favorisaient les ateliers pratiques d’écriture, de mise en scène et de scénographie, à côté des apprentissages théoriques. J’ajouterai aussi que les apprentis comédiens, de leur côté, commençaient à découvrir dans les années 80 l’intérêt pour leur métier d’inscrire leur art dans des projets de vie au cœur de la société.

« On ne va pas jusqu’au bout de l’éducation si on se contente de transmettre des savoirs et qu’on ne met pas en place une éducation de l’imaginaire. »

Les hommes politiques ont-ils conscience de l’importance de l’éducation aux arts ?

R.A. : L’enseignement artistique excite énormément les politiques : tout le monde en a envie mais ceux qui en parlent savent souvent mal le définir. Force est d’admettre qu’il y a une demande et un véritable intérêt, mais cette grande idée d’un droit aux arts effectif dans toutes les étapes de l’enseignement est coûteuse et demande beaucoup d’engagement. Pendant que j’étais au ministère, dans la deuxième partie des années 80, je m’appuyais sur l’Anrat (l’Association nationale de Recherche et d’Action théâtrale) qui réunissait des enseignants passionnés par ces questions et qui était alors dirigée par Jean-Gabriel Carasso avec beaucoup de dynamisme. A également beaucoup compté le travail de Jean-Claude Lallias, qui a rejoint beaucoup plus tard la cellule chargée du théâtre dans le ministère qui a réuni, en 1992, éducation et culture, sous la responsabilité d’un même ministre, Jack Lang. J’avais alors une sorte de doctrine (même si c’est un grand mot !) : on ne va pas jusqu’au bout de l’éducation si on se contente de transmettre des savoirs et qu’on ne met pas en place une éducation de l’imaginaire. L’éducation complète ne peut avancer que sur ces deux jambes ! Mais la plupart des gens ne sont pas habitués à admettre cette complémentarité : hors de la dimension intellectuelle du savoir (que réalise l’histoire des arts, entendons-le), il faut ajouter une partie d’initiation pratique. Il est indispensable que tout citoyen soit frotté aux problèmes de la création artistique et s’initie à la pratique du théâtre, de la peinture, de l’architecture, de la musique, de la danse, etc. C’est là une richesse inestimable. Encore faut-il que la société, d’une part, et les politiques, d’autre part, y croient vraiment. Soyons lucides et interrogeons-nous sincèrement : où en sommes-nous de cet engagement ?

Propos recueillis par Catherine Robert

 

Entretien réalisé dans le cadre de la publication du Carnet n°8 de L’Anthropologie pour tous, intitulé Pour une école des arts et de la culture. A paraître en septembre 2020. oLo Collection Site : www.anthropologiepourtous.com

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