Théâtre - Critique

Retour de « Ils nous ont oubliés » de Séverine Chavrier d’après Thomas Bernhard, d’une grande richesse théâtrale

Retour de « Ils nous ont oubliés » de Séverine Chavrier d’après Thomas Bernhard, d’une grande richesse théâtrale - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Colline


Reprise / La Colline – Théâtre national / d’après Thomas Bernhard / mise en scène Séverine Chavrier

Konrad et son épouse invalide vivent claquemurés au sein d’une grande bâtisse dans les Alpes autrichiennes, une ancienne plâtrière abandonnée, éloignée de tout, soumise à la menace diffuse de visiteurs mystérieux, rôdeurs aux activités et intentions troubles qui, dans l’adaptation théâtrale que signe Séverine Chavrier, prennent la forme de présences énigmatiques et stéréotypées. C’est là que Konrad a décidé de s’installer pour travailler à son grand œuvre, un essai sur l’ouïe auquel il pensait depuis longtemps sans jamais parvenir à s’atteler à son projet. Mais après cinq années d’existence recluse, confronté à son impossibilité d’écrire et au poids de besognes ménagères envahissantes, un jour de Noël, Konrad tue son épouse. Les circonstances de ce drame sont obscures. Dans un flash-back aux airs d’enquête policière, le roman foisonnant et labyrinthique de Thomas Bernhard (Das Kalkwerk, publié en France aux Editions Gallimard, en 1974) revient sur ces cinq années de vie entre ressassements, gesticulations et décrépitude. Cinq années qui donnent corps, sur scène, à une étonnante pérégrination multisensorielle.

Une imposante symphonie théâtrale

La réussite de Ils nous ont oubliés s’appuie sur la force d’incarnation de Laurent Papot (Konrad), Marijke Pinoy (son épouse), Aurélia Arto et en alternance Adèle Bobo-Joulin (une jeune infirmière employée par le couple), ainsi que sur la partition musicale improvisée en direct par Florian Satche. Mais ce qui impressionne avant tout, c’est l’univers kaléidoscopique créé par la metteuse en scène pour transposer au théâtre la littérature accumulative, itérative, syncopée de Thomas Bernhard. Dans le spectacle de Séverine Chavrier, le réel n’a pas vraiment d’importance. C’est la profondeur du concret qui compte. Celle-ci s’exprime à travers toutes sortes de choses et nourrit de manière fragmentée le monde crépusculaire qui s’ouvre à nous. Un sapin de Noël, un cerf et un chamois empaillés, une collection de fusils, des bruits de nature, de faux arbres, un cercueil, une corneille et des pigeons volant sur le plateau, des champs et des hors champs transmis par vidéo, une machine à laver, un fatras de boules à neige et des statuettes de la Vierge… Une multitude de perspectives vient nourrir cette réinvention de La Plâtrière. À la croisée du théâtre, des arts musicaux et sonores, des arts plastiques et de la vidéo, Séverine Chavrier crée une imposante symphonie théâtrale. Et s’affirme comme une véritable écrivaine de la scène.

Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement


Ils nous ont oubliés
du mardi 16 janvier 2024 au samedi 10 février 2024
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

du mardi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h30, relâche dimanche 21 janvier. Tél. : 01 44 62 52 52. Durée estimée de la représentation : 3h45 (entractes compris). Spectacle vu le 24 mars 2022 au Tandem - Scène nationale, à Douai.


A lire aussi sur La Terrasse

  • Théâtre - Gros Plan

Julien Kosellek crée « Lichen » de Magali Mougel, une chronique familiale face à l’effondrement

Julien Kosellek crée Lichen, texte de Magali [...]

Du vendredi 12 janvier 2024 au 27 janvier 2024
  • Jazz - Agenda

Le New-Yorkais Peter Bernstein invite son cadet hollandais Jesse van Ruller

Le New-Yorkais Peter Bernstein invite son [...]

Le mercredi 24 janvier 2024
  • Danse - Critique

« Maldonne » de Leila Ka, une ode à la féminité multiple, émancipatrice et résolument juste

Leila Ka et quatre danseuses proposent une [...]

Du vendredi 12 janvier 2024 au 14 janvier 2024