Théâtre - Critique

Retour à Reims d’après Didier Eribon, mis en scène par Thomas Ostermeier

Retour à Reims d’après Didier Eribon, mis en scène par Thomas Ostermeier - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg


Repasse / d’après Didier Eribon / mes Thomas Ostermeier

Fidèle à sa volonté d’éclairer et d’interroger le réel à travers son travail théâtral, Thomas Ostermeier s’empare du remarquable texte de Didier Eribon en actualisant son propos. Une actualisation qui souhaite accorder une grande place à la dimension intime de cet « essai d’auto-analyse » ou « introspection sociologique » – selon les mots de l’auteur -, et à son envergure politique. C’est après la mort de son père que Didier Eribon est parvenu à retourner à Reims, dans son milieu d’origine avec lequel il avait consommé une rupture. Homosexuel, étudiant en philosophie puis universitaire, il n’a pas revu sa famille pendant environ trente ans. Avec une honnêteté minutieuse et une précision d’orfèvre, il livre dans son ouvrage les nuances d’une quête et enquête percutante, qui analyse le processus de son retour autant que celui de son éloignement. Il décortique les impitoyables mécanismes de domination sociale et d’oppression nue qui violentent les corps et les âmes. En Allemagne, Thomas Ostermeier a créé une version avec la grande comédienne Nina Hoss, fille d’un ouvrier devenu cofondateur d’un parti écologiste. Il a également créé une version adaptée au contexte français, avec notamment Irène Jacob et sa belle voix posée. Ne se contentant pas d’une illustration ou d’une restitution scénique, le metteur en scène – qui confesse avoir comme l’auteur eu honte de son milieu social –  souhaite engager un dialogue avec le spectateur, inscrire les trajectoires de Didier Eribon et d’autres comme repères pour comprendre davantage la société dans laquelle nous vivons, ouvrir le débat sur les évolutions politiques de notre époque, et notamment sur l’échec de la gauche à incarner un espoir pour les classes populaires, qui se tournent vers l’extrême droite.

Un théâtre à l’écoute du monde

Pour ce faire, il instaure diverses formes de dialogues sur la scène même transformée en studio d’enregistrement, où une actrice enregistre un texte extrait de Retour à Reims, qui accompagne un documentaire sur Didier Eribon projeté sur grand écran. L’auteur a accepté d’être filmé sur les lieux de son enfance, notamment avec sa mère, ce qui est un geste fort de confiance envers le metteur en scène. Paul, le réalisateur du film (Cédric Eeckhout), et Tony, ingénieur du son et propriétaire du studio situé en grande banlieue (Blade Alimbaye), sont aux manettes, à l’écoute de la comédienne, qui signifie à plusieurs reprises son désaccord sur les choix du réalisateur. Si la première partie est centrée sur Didier Eribon, la seconde traverse à gros traits certaines étapes marquantes de l’histoire politique du vingtième siècle, à partir de mai 1968 et jusqu’à l’actualité récente, dont les gilets jaunes. Ce glissement très (voire trop) rapide vers notre actualité donne envie de davantage analyser la complexité du monde. On pense aux gilets jaunes dignes et solidaires (beaucoup de femmes seules avec enfants), que le désespoir a poussés à l’action, on pense aussi aux dérives complotistes, violentes, antisémites, homophobes ou racistes de certains dont des désignés meneurs souvent considérés avec une étonnante complaisance. Comme si un nazillon pouvait être confondu avec Rosa Luxemburg.  Pour finir, place à la parole de Blade Alimbaye et à l’histoire de son grand-père, tirailleur sénégalais qui combattit pour la France, comme beaucoup d’autres soldats africains, qui furent méprisés, et pour certains assassinés par l’armée française pour avoir réclamé leur solde. Quoique surajoutée, cette fin précise souligne la nécessité d’une mémoire partagée. Thomas Ostermeier complètera-t-il le puzzle ébauché par un nouvel opus ? Ce serait bien !

Agnès Santi

* Publié en 2009, aux Editions Fayard.

A propos de l'événement


Retour à Reims d’après Didier Eribon, mis en scène par Thomas Ostermeier
du samedi 21 septembre 2019 au mardi 1 octobre 2019
Théâtre National de Strasbourg
1, avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg

à 20h, le 22 à 16h, relâche les 23 et 29 septembre. Tél. : 03 88 24 88 24. Spectacle vu au Théâtre de la Ville en janvier 2019. Durée : 1h50.


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