Théâtre - Critique

Pur

Pur - Critique sortie Théâtre


Art de la scène et donc de l’espace, le théâtre peine souvent à signifier la durée autrement que par le grimage et par des conventions tacitement acceptées par le spectateur. Le génie de Norén, dans l’écriture comme dans la mise en scène de Pur, est de parvenir à rendre visible et quasi palpable cette forme a priori de la sensibilité en la transformant en phénomène théâtral. Projections sur le mur du fond comme autant de traces mémorielles, d’anticipations ou de souvenirs, textes mêlés de deux couples dont l’un paraît d’abord la promesse menaçante de l’autre avant que le second ne s’avère le souvenir douloureux du premier, présence des comédiens jouant avec subtilité de leurs ressemblances dans le physique, la posture et le costume, remarquable travail du ton et de la voix qui disent les écarts, les fragilités et les écueils de l’âge : tout participe avec une rare subtilité à installer une synchronie de la diachronie aussi rare qu’étonnante et vertigineuse. Des quatre personnages installés dans le huis clos d’un appartement qu’un couple quitte au moment de se séparer et qu’un autre investit à l’aube de sa vie maritale, on n’apprend presque rien sinon les douleurs rétives au langage qui ont dévasté ou vont bientôt ravager leur vie. En cela aussi Lars Norén est très fort : se gardant de tout psychologisme et de tout pathos, évoquant pourtant le suicide d’un enfant, la solitude et l’échec, il prend la voie la plus ardue qui puisse être quand elle n’est pas balisée par le recours théorique, celle d’une métaphysique du quotidien où l’être-pour-la-mort se débat dans les tourments de sa condition.
 
Le temps ce grand sculpteur
 
« Quand je reste trop longtemps dans l’espace de l’existentialisme, celui de la société me manque. » dit l’écrivain et metteur en scène suédois, évoquant l’écriture en parallèle dans son œuvre de « pièces de société » et de « pièces intimes ». Or, étonnamment, de même que A la mémoire d’Anna Politkovskaïa, montée cette saison au Théâtre des Amandiers, enracinait le récit du désastre dans les blessures les plus personnelles que la modernité impose à ses victimes, de même ici, l’exploration de l’intime se fait sous une modalité universelle où les personnages s’effacent derrière l’humain dont ils sont l’incarnation. Le propos n’est peut-être pas social ou politique alors (encore que la précision sociologique des répliques, des références et des expressions suggère tout – et souvent avec drôlerie – du malaise des âmes contemporaines prises dans les affres de la vie à deux et de l’enfantement), mais il est clairement et remarquablement métaphysique en ce qu’il ausculte ce qui fonde à la fois notre finitude, notre angoisse et notre responsabilité. Norén dit dans son Journal intime d’un auteur, qui vient de paraître aux éditions de L’Arche, à propos de son travail : « C’est difficile de décrire ce qui se produit dans le travail, quand je sculpte dans le temps, quand je sculpte les contours du temps dissout par le temps. Du temps dissout par le temps. C’est ce qu’on fait, quotidiennement, instantanément, inlassablement, même quand on ne sait plus qu’on n’a rien d’autre que les contours. ». Une sculpture dans le temps faisant œuvre de mémorial humain, dans l’élégance, l’humilité, la simplicité, l’authenticité et la vérité d’un art maîtrisé de bout en bout et servi par des comédiens à la hauteur de cet enjeu : à cela s’apparente ce spectacle.
 
Catherine Robert

Pur, texte et mise en scène de Lars Norén, traduction de Katrin Ahlgren. Du 15 avril au 17 mai 2009. Mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h ; dimanche à 16h. Théâtre du Vieux-Colombier, 21, rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris. Réservations au 01 44 39 87 00 / 01. Vient de sortir aux éditions de L’Arche Journal intime d’un auteur, de Lars Norén.

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