Théâtre - Critique

Pour Wagner

Pour Wagner - Critique sortie Théâtre


La folie souvent dégage une étrange fascination mêlée d’effroi, celle d’une présence invisible qui se soustrait aux logiques normées, comme le miracle ou le crime. Installé avec sa compagnie, Vertical Détour, dans les anciennes cuisines de l’Hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, l’auteur et metteur en scène Frédéric Ferrer poursuit son exploration des obscurs mécanismes de la paranoïa, amorcée dans Apoplexification à l’aide de la râpe à noix de muscade, sa première pièce. Il s’intéresse aujourd’hui au « cas Wagner », découvert au détour d’une revue de psychanalyse : Ernst Wagner (1872-1938), instituteur allemand, dramaturge « raté », longtemps endura le cruel supplice d’un délire de persécution et d’une sexualité déviante, persuadé que tout le voisinage savait ses actes zoophiles et ricanait de sa bestialité sur son sillage. Assailli par ses tourments, il tua neuf habitants du village de Mulhausen, puis sa femme et ses quatre enfants pour les soustraire à l’ignominie d’un mari et d’un père criminel. Après son suicide manqué, il vivra interné vingt-cinq ans et écrira Délires, texte de théâtre fouillant les abîmes de sa maladie, sous le regard attentif et jaloux de son psychiatre, Robert Gaupp, qui l’érigera en paradigme du « vrai paranoïaque ».

« Je suis la souffrance faite chair », dit Ernst Wagner. »

De nombreuses interprétations sont des illusions de la mémoire, c’est-à-dire représentent des objectivations illusoires, dans le passé, d’images où s’expriment soit la conviction délirante, soit les complexes affectifs qui motivent le délire », notait Jacques Lacan dans sa thèse de doctorat, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité. A partir de ces travaux, Frédéric Ferrer entreprend de suivre le processus de la construction délirante, qui amène le sujet à tricoter des liens entre des faits, des souvenirs, des personnes, à nouer ces relations si étroitement qu’elles finissent par former le tissu de la réalité, et les rets d’une atroce souffrance. Il pénètre dans l’intimité des antichambres de la conscience et tresse lui aussi divers éléments : la biographie et les écrits d’Ernst Wagner, les études de Robert Gaupp, La Walkyriede Richard Wagner, quelques réflexions du mégalomane Louis II de Bavière, protecteur du compositeur, les violentes fureurs d’Aimée, patiente de Lacan, ou encore le quotidien de l’hôpital… Loin d’un exposé savant, Pour Wagner fonctionne par associations d’idées et percussions d’images, au risque parfois de l’hermétisme. Dans l’espace immense des anciennes cuisines, structuré par deux cages de verre avec, d’un côté, le patient observé, dévoré par l’écriture, et de l’autre, les blouses blanches, tout aussi névrosées, œuvre un maître de cérémonie satanique, figure fantasmatique qui excite les pulsions et cingle les plaies, qui télescope les histoires et parasite les mémoires. Au fil de ces « délires » menés par une troupe alerte de treize comédiens, se trame une passionnante réflexion sur la création artistique, le dérèglement du sujet et la construction de la personnalité.

Gwénola David


Pour Wagner, texte et mise en scène de Frédéric Ferrer, du 04 au 23 février 2008, du lundi au jeudi à 20h30, le samedi à 17 heures, relâche les 7, 14 et 19 février, dans les Anciennes Cuisines de l’EPS de Ville-Evrard, 202 avenue Jean Jaurès, 93330 Neuilly-sur-Marne. Rens. 01 43 09 35 58 et http://verticaldetour.site.voila.fr/. Durée : 1h30.

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