Théâtre - Critique

Portraits : La Spectatrice et L’Estivante

Portraits : La Spectatrice et L’Estivante - Critique sortie Théâtre Paris THEATRE DU LUCERNAIRE


Portraits : La Spectatrice et L’Estivante / texte et mes Joël Dragutin

La spectatrice est passionnée ; elle adore, elle admire et félicite. Elle vilipende aussi quand elle n’aime pas, et il arrive même qu’elle déteste… Elle agace par sa soif irrépressible de consommation spectaculaire, mais émeut aussi, tant son hystérie révèle une incapacité à jouir autrement que dans le tourbillon d’une satisfaction publique où elle oublie ses déboires privés… Héron poireautant dans le hall ou pie jacassant aux soirs de première, l’oreille vissée au portable pour prévenir la baby-sitter de son retour ou pour laisser un message à un chevalier servant retardé, hyperactive, hyper-attentive, hyper-intéressée, ivre d’avoir vu ce que la rumeur impose ou dépitée d’avoir été déçue, elle incarne toutes les postures de la pratique culturelle contemporaine. L’estivante vit les mêmes emballements et subit les mêmes déboires, à ceci près qu’elle prend l’avion pour aller assister à des spectacles inédits, qu’elle espère authentiques et préservés des hordes touristiques qui les polluent. Comme la spectatrice, à laquelle elle ressemble évidemment beaucoup, elle fuit l’angoisse par le divertissement, et va de poncifs en lieux communs, exaltée par la fièvre révolutionnaire des guérilleros, solidaire en Afrique, mélancolique et rêveuse sur le pont Charles.

Ridicules et précieuses, mais sincères et sympathiques

Fine et élégante, Stéphanie Lanier a tout de ces privilégiés égoïstes et capricieux que Joël Dragutin se plaît à observer dans ses pièces. Humanistes et cultivés, ils ont un vernis ethnologique suffisant pour admettre qu’il y a à apprendre des autres, mais trop peu de lucidité sociologique pour comprendre qu’ils sont les produits de leur classe et les représentants des valeurs de leur époque. Le jeu de Stéphanie Lanier sert joliment cette impertinente étude de mœurs. Si Joël Dragutin se moque et reproduit avec une aisance jubilatoire les discours rebattus de la branchitude bourgeoise, il enfonce le scalpel jusqu’au sang et révèle les blessures de la wonder girl moderne, que son autonomie financière, sentimentale et existentielle transforme en pauvre petite fille riche, tellement sûre et pleine d’elle-même qu’elle ne laisse aucune place à l’autre dans le secret de son cœur désolé. Comme ses escarpins, son emploi du temps lui sert de carcan et son agitation lui fait oublier sa misère. Telle est l’humaine condition, et, comme le dit Pascal, « ceux qui font sur cela les philosophes et qui croient que le monde est bien peu raisonnable (…) ne connaissent guère notre nature ». Dragutin le sait bien, et son humour le préserve du moralisme. La spectatrice et l’estivante ressemblent à Aminte et Polixène, certes, mais leur lucidité force la sympathie : à choisir, et d’autant plus par les temps qui courent, mieux vaut peut-être une précieuse ridicule qu’une virago pointant son arquebuse sur la culture et les étrangers.

Catherine Robert

A propos de l'événement


Portraits : La Spectatrice et L’Estivante
du mercredi 26 mars 2014 au vendredi 23 mai 2014
THEATRE DU LUCERNAIRE
53 Rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris, France

Du 26 mars au 3 mai 2014 (relâche du 22 au 24 avril). Du mardi au samedi à 19h. Tél. : 01 45 44 57 34. Théâtre 95, allée du Théâtre, 95000 Cergy-Pontoise. Les 20, 21 et 23 mai à 20h30 ; le 22 à 19h. Tél. : 01 30 38 11 99. Durée : 1h.


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