Théâtre - Entretien

Patrice Bigel

Patrice Bigel - Critique sortie Théâtre


Quelle est votre vision de l’oeuvre d’Henry Monnier et pourquoi avez-vous décidé de la porter à la scène ?
 
Patrice Bigel : Henry Monnier n’est plus édité. Dessinateur, auteur, acteur, il doit peut-être à sa dispersion l’oubli dans lequel il est tombé. Pour le critique d’art c’était un auteur et pour le critique littéraire un caricaturiste. Pourtant l’oeuvre qu’il nous laisse présente une remarquable unité. Il met son humour féroce au service d’une observation implacable des comportements humains. Henry Monnier est imprévisible. On le retrouve toujours là où on ne l’attend pas. Assez éloignée du vaudeville, son oeuvre échappe aux règles et aux mécaniques du théâtre de son époque. Au premier abord, on pourrait déconsidérer cette oeuvre, pourtant en prenant le temps de s’y attarder, on la découvre singulière et étonnante, elle révèle une profondeur poétique et des possibilités multiples d’interprétation. Sans la Gaîté est le titre de la chanson qui figure dans une de ses pièces, Le Dîner Bourgeois. La Gaîtéest ici entendue dans le sens d’une incorrigible folie, thème emblématique chez Monnier.
 
« Henri Monnier nous tend un miroir où nous tremblons de nous reconnaître. »
 
Comment avez-vous procédé pour l’adaptation ?
 
P. B. : Son oeuvre est énorme. Après avoir travaillé plusieurs mois avec l’équipe de comédiens à la lecture d’une centaine de pièces, nous avons découvert que revenaient souvent les mêmes situations obsessionnelles et les mêmes personnages. La scénographie, le mouvement et le son participent aussi à l’écriture du spectacle.
 
Ce texte résonne-t-il aujourd’hui et de quelle façon ?
 
P. B. : Oui, ce texte nous parle encore aujourd’hui. A travers notamment l’attention aiguë qu’Henry Monnier sait porter au langage, à ce qu’il révèle et dissimule. En étudiant minutieusement la bêtise humaine, il nous dévoile les dangers de l’ignorance, il nous décrit un monde sans repère, une société qui fabrique des monstres et peut engendrer la barbarie. Il nous tend un miroir où nous tremblons de nous reconnaître.
 
Qui sont les personnages et comment les caractérisez-vous ?
 
P. B. : Des bourgeois, des employés de bureau, des médecins, des épiciers, des prostituées, des gens des villes et des campagnes… Il passe toutes les classes sociales au vitriol. Son oeuvre dramatique d’un comique percutant est aussi cruelle et désespérée car les personnages qu’il traque ne sont jamais heureux. La mélancolie, la solitude les entraînent aux limites de la folie.
 
Avez-vous pensé à l’auteur en tant que caricaturiste dans votre mise en scène ?
 
P. B. : Non, car même s’il est quelquefois rangé dans la catégorie des caricaturistes, je ne pense pas qu’il en soit un. Ce n’est pas Daumier. Il se contente juste de copier et de reproduire la réalité, il ne l’interprète pas et ne la déforme pas, et c’est justement ce que lui reproche Baudelaire. Henry Monnier est un original, il écrit pour le théâtre comme il dessine, il prend des notes de ce qu’il voit et de ce qu’il entend autour de lui. Ce qui m’intéresse c’est de faire se croiser le théâtre d’Henry Monnier avec notre réalité à nous.
 
Comment vous emparez-vous de cette langue particulière ?
 
P. B. : Le premier danger face à cette langue fleurie et pittoresque est évidemment de tomber dans la caricature et d’en souligner le trait, même si le texte nous invite à le faire. La langue est pourtant délicieuse, la jouer fait naître une véritable jubilation. Henry Monnier fait preuve d’un sens du dialogue redoutablement efficace. De véritables joutes verbales, des dialogues qui dérivent en monologues, des bavardages souvent remplis de banalités et de lieux communs créent une langue singulière et parfois même déroutante. Pour les comédiens c’est un véritable sport.
 
Et comment les corps des comédiens s’en emparent-ils ?
 
P. B. : J’ai cherché comment le corps des acteurs pouvait subir et résister à la virtuosité de la langue. Quand la parole est compulsive, saturée, le corps devient inerte, apathique, quand les mots ne font plus sens, le corps entre en transe, il est en état de choc.
 
Propos recueillis par Agnès Santi

Sans la gaîté, sans les amours, tristement vous passez vos jours, d’après l’œuvre de Henry Monnier, mise en scène de Patrice Bigel. Du 6 au 30 janvier 2011. Jeudi, vendredi, samedi à 20h30 et dimanche à 17h. Usine Hollander, 1, rue du Docteur Roux à Choisy-Le-Roi. Tél : 01 46 82 19 63

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