Théâtre - Critique

Paroles gelées

Paroles gelées - Critique sortie Théâtre


Logorrhée torrentielle, mots rares, drôlerie de l’inventivité sémantique, hommages farfelus aux Anciens en cascades de néologismes scabreux, crases stellaires et scatologie gaillarde : la langue de Rabelais est un monument de savoir et d’intelligence. Pour le visiter et en apprécier la beauté, la finesse et l’humour, il faut des guides au verbe et à l’esprit véloces. Les treize « comédiens-musiciens-ouvriers » que réunit Jean Bellorini sont de cette trempe : l’odyssée maritime qu’ils entreprennent jusqu’à l’oracle de la Dive Bouteille, passant par les principales étapes du Quart Livre, est un remarquable voyage théâtral, qui réjouit autant les yeux que l’esprit. Camille de la Guillonnière et Jean Bellorini ont adapté le texte original, entre coupes adroites et respect de sa forme foisonnante. La modernisation de la langue est assez habile pour rendre le parler renaissant audible aux oreilles modernes, sans jamais sombrer dans la facilité édulcorante. À jardin, un spirituel herméneute s’adonne à l’art rigolard de l’explicitation et de l’élucidation étymologique : brillant pied de nez à ces docteurs en obscurité que Rabelais détestait et raillait !

Remarquable harmonie du verbe et du geste

Les comédiens composent des tableaux originaux et poétiques sur un plateau recouvert d’eau, qui figure à la fois la pataugeoire du dilemme matrimonial de Panurge et la mer sur laquelle ces argonautes fantaisistes s’embarquent pour trouver l’or promis à leur alchimique verbiage. Des accessoires incongrus sont agencés pour composer une machine à jouer jubilatoire et inventive. Comédiens aguerris et débutants incroyablement doués alternent monologues brillants et scènes collectives remarquablement chorégraphiées, avec un rythme et un sens de la composition parfaitement maîtrisés. En fond de scène, des musiciens accompagnent le verbe prolixe de ces athlètes de l’interprétation. L’ensemble est à la fois comme un hommage à l’artisanat théâtral (on fait, ici, feu de tout bois, et art de tout, comme mine de rien) et un tribut rendu avec une piété malicieuse au génie créatif de Rabelais. L’aisance insolente avec laquelle ces artistes s’emparent de la matière textuelle et des matériaux scéniques qui nourrissent ce spectacle est absolument sidérante. Difficile d’imaginer meilleure manière de découvrir ou de retrouver l’immense Alcofribas Nasier, « le plus excellent des rieurs » !

 

Catherine Robert


Paroles gelées, d’après Rabelais, adaptation de Camille de la Guillonnière et Jean Bellorini ; mise en scène de Jean Bellorini. Du 8 au 25 mars 2012. Lundi, mercredi, jeudi, vendredi à 20h ; samedi à 18h ; dimanche à 16h. TGP-CDN de Saint-Denis, 59, boulevard Jules-Guesde, 93200 Saint-Denis. Tél : 01 48 13 70 00. Spectacle vu au Théâtre National de Toulouse. Durée : 2h15.

A propos de l'événement




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