Théâtre - Critique

Par la mer [quitte à être noyées] d’Anaïs Allais Benbouali s’efforce de mettre en réflexion l’Histoire

Par la mer [quitte à être noyées] d’Anaïs Allais Benbouali s’efforce de mettre en réflexion l’Histoire - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Colline


La Colline – théâtre national / Texte et mise en scène d’Anaïs Allais Benbouali

La voix off qui s’élève au début de Par la mer [quitte à être noyées] d’Anaïs Allais Benbouali, dans une obscurité totale, nous place d’emblée dans un espace-temps éloigné du nôtre, à distance aussi de toute forme de naturalisme. Car cette voix, celle d’une certaine Lounia, est d’outre-tombe. Depuis que sa fille a, dit-elle, lâché l’urne qui la retenait à la surface, elle s’est « laissée bercer par les courants et est arrivée ici, dans les profondeurs, au large de quelque chose ». « J’aime me dire que c’est la Méditerranée, mais ça pourrait tout aussi bien être le Pacifique », prononce l’absente qui se place ainsi dans la continuité du précédent spectacle écrit et mis en scène par Anaïs Allais Benbouali, créé en 2018 à La Colline – théâtre national, qui coproduit et accueille de nouveau le deuxième. Dans Au milieu de l’hiver, j’ai découvert un invincible été, l’artiste situait très clairement son récit entre les deux rives de la Méditerranée. Une certaine Lilas, incarnée par l’autrice et metteure en scène elle-même, y partait en quête de ses origines oubliées. De France, elle arrivait en Algérie où elle allait passer les quelques mois que son cancer lui laissait à vivre. La mort était donc déjà au rendez-vous, comme trait d’union entre les deux pays en question, entre le présent français de Lilas et le passé de son grand-père qui fut aussi celui d’Anaïs Allais-Benbouali, le second « Algérien-Français » à avoir fait carrière dans le football en métropole. Pour creuser le même sujet, Par la mer s’éloigne du réel, de l’autobiographique. Elle s’engage dans le domaine de la fable.

Les femmes et la mer

Plus encore que dans Au milieu de l’hiver, où le voyage en Algérie du frère de Lilas après la disparition de celle-ci était conté en parallèle de la recherche de cette dernière, Par la mer rassemble des histoires, des voix diverses. Aux côtés de celle de Lounia, dont l’univers s’incarne parfois au plateau par des sortes d’hommes-poissons qui se livrent à d’étranges petits rituels, les personnages de Houda (Louise Belmas), Max (Gaëlle Clérivet) et Assia (Asmaa Samlali) se rencontrent dans une maison en bord de mer où l’eau et le vent sont davantage chez eux que les trois femmes. Chacune a son problème, qui justifie sa présence dans ce bout du monde. La première vient de perdre sa mère, la deuxième a quitté son travail et la troisième son pays, le Maroc. Les relations entre elles s’éclaireront quelque peu au fil de la pièce, sans toutefois que cela apporte la complexité qui manque à chaque personnage. Surjouant pour l’une l’émotivité, pour l’autre la sécheresse et la dernière la politesse du désespoir, les interprètes peinent à dessiner le sens de leur partition. Les douleurs liées à la guerre, celles de l’exil ou encore les misères petites et grandes qui ponctuent la vie de tout individu sont placées sur un plan d’égalité dans Par la mer. Plutôt que d’en découdre avec l’Histoire, de la mettre en réflexion pour mieux penser le présent, ce spectacle qui verse dans l’onirique semble lui tourner le dos.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement


Par la mer [quitte à être noyées] d’Anaïs Allais Benbouali
du mardi 23 mai 2023 au dimanche 18 juin 2023
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h. Relâche le 28 mai. Durée : 1h30. Tel : 01 44 62 52 52. www.colline.fr


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