Théâtre - Critique

Nu de David Gauchard, un spectacle jubilatoire et saisissant de vérité

Nu de David Gauchard, un spectacle jubilatoire et saisissant de vérité - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville


Théâtre de Belleville / Idée originale et mise en scène David Gauchard / collaboration de Léonore Chaix et Arnaud Alessandrin

On sait que Géricault se rendit à la morgue pour peupler Le Radeau de la Méduse. On a récemment appris que c’est « l’intérieur » de Constance Quéniaux dont Courbet fit L’Origine du monde. Mais on ignore tout de ceux qui se dévêtent pour permettre aux artistes de peindre le corps humain. Si la représentation des raies flasques et des lapins morts ne fait pas extravaguer l’imagination du spectateur, le modèle vivant est propice aux fantasmes. Quid de la sexualité dans l’exposition de soi au regard de l’artiste ? Les muscles bandés dans l’effort de la pose s’accompagnent-ils d’autres contractions plus gênantes ? Qui pose ? Comment devient-on modèle ? Jusqu’à quel âge et pour quel salaire ? Voilà quelques-unes des questions que David Gauchard et Léonore Chaix ont posées à des anonymes qui acceptent de se faire chair à pinceau. Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours interprètent ces témoignages avec autant de brio que de subtilité.

L’esprit de la chair

Les deux comédiens sont guidés par des oreillettes, grâce auxquelles ils entendent la voix des interviewés qu’ils reproduisent en direct. Ils passent d’un genre à un autre et d’âge en âge avec une stupéfiante aisance. Ce dispositif original, qui les dispense d’apprendre le texte, les place dans une situation de fragilité particulièrement propice à la restitution des aléas psychologiques du récit. L’émotion est à fleur de peau, à fleur de cil, contenue dans chaque geste qui accompagne les ruptures du propos. Celui-là semble être dit pour la première fois, transformant la représentation, dont on sait bien, pourtant, qu’elle sera répétée, en un moment de grâce unique. Le quatrième mur est aboli. Seule la pudeur des comédiens maintient la distance qui fait que le théâtre est théâtre, exactement comme la frontière invisible du tabou est posée entre le modèle et l’artiste. Parce qu’il rend l’œuvre possible, le corps du modèle n’est plus seulement humain ; parce qu’ils sont interprètes, celui des comédiens n’est pas sacrifié au personnage. Etonnamment, c’est la forme du spectacle, plus encore que son texte, qui parvient à dire le paradoxe d’une nudité qui s’offre à voir sans se donner à saisir, préservant intact le mystère de la représentation. L’équilibre ainsi tenu entre réserve et générosité est absolument magnifique à contempler. Les deux comédiens qui réussissent cette fascinante performance sont talentueux et touchants. L’interprétation est sidérante de vérité : la voir ainsi virevolter entre transparence et obstacle est jubilatoire.

Catherine Robert

A propos de l'événement


Nu
du lundi 5 décembre 2022 au mardi 27 décembre 2022
Théâtre de Belleville
16, passage Piver, 75011 Paris

Lundi à 21h15, mardi et samedi à 19h, dimanche à 20h. Relâche les 24 et 25 décembre. Tél. : 01 48 06 72 34. Durée : 1h20. A partir de 14 ans. Tournée : 11 février 2023, Scène 55, Mougins ; 21 mars, Les Scènes du Jura, scène nationale ; 28 et 29 mars, musée d’art et d’histoire de Saint-Lô en partenariat avec le Théâtre de Saint-Lô ; 31 mars, DSN, Dieppe Scène Nationale ; 16 mai, Le Pont des arts, Cesson Sévigné.


 


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