Théâtre - Critique

Nos corps empoisonnés, de Marine Bachelot N’Guyen

Nos corps empoisonnés, de Marine Bachelot N’Guyen - Critique sortie Théâtre Paris Les Plateaux Sauvages


Les Plateaux Sauvages / Texte et mise en scène de Marine Bachelot N’Guyen

Ils sont encore 3 millions. 3 millions d’individus au Vietnam qui subissent les conséquences de l’empoisonnement occasionné par les agents toxiques déversés sur les populations pendant les années de guerre américaine. Ils souffrent de malformations qui souvent les mettent au ban de la société et n’ont pas vu l’ombre d’une indemnisation, à la différence des GI américains. 3 millions d’individus que Tran To Nga, femme à la vie d’aventurière, défend encore à plus de 80 ans, au quotidien au Vietnam et en France devant les tribunaux. C’est l’histoire proprement extraordinaire de cette femme et de son combat juridique face aux grandes multinationales de la chimie qui ont fourni les agents toxiques à l’armée américaine que raconte ce passionnant Nos corps empoisonnés écrit et mis en scène par Marine Bachelot N’Guyen. Un spectacle qui permet d’appréhender plus précisément une période de l’histoire plutôt ignorée en France, et qui recoupe de nombreux sujets d’actualité de notre société.

Film d’aventures et chronique judiciaire

Car à bien y réfléchir, hors quelques mots dans les manuels, on connaît surtout l’histoire de la guerre du Vietnam par les films américains. Et de la guerre d’Indochine, quelques dates et lieux mais bien peu les enjeux. Nos corps empoisonnés permet donc de retraverser cette période à travers l’histoire de cette fille d’une agente de liaison, qui va elle-même s’engager dans le conflit armé du côté des vietcongs d’inspiration nationaliste et communiste. Ces fameux soldats invisibles parce que protégés par l’immense et dense forêt vietnamienne que les Américains vont entreprendre de détruire à coups d’agents toxiques pulvérisés par avions et hélicoptères sur les arbres comme sur les corps des habitants. « Trees are our ennemies » clamait Kennedy (« Les arbres sont nos ennemis »). Seule en scène, alternativement devant un bidon métallique pour figurer le tribunal, ou dans un demi-cercle laqué entouré de terre pour les aventures vietnamiennes, Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné  devient cette Tran To Nga d’hier et d’aujourd’hui, dans une grande palette de jeux, où elle excelle à esquisser les images et les émotions, autant qu’à réactiver l’imagerie vietcong, avec éloquence et rapidité. Soutenu par un travail vidéo convoquant images d’archives et paysages de cellules en transformation, ce spectacle développe un récit de femme qui donne voix à une lecture de l’Histoire très rarement entendue, écologiste, puisqu’il s’articule avec d’autres combats contre les multinationales de l’agrochimie qui ont pu empoisonner les hommes, comme les terres et les insectes. Il se traverse autant comme un film d’aventures que comme une chronique judiciaire et éclaire le passé autour d’une héroïne ordinaire, dont s’esquisse un portrait tout en détermination et en délicatesse. Passionnant et de grande actualité.

Eric Demey

A propos de l'événement


Nos corps empoisonnés
du lundi 20 mars 2023 au samedi 25 mars 2023
Les Plateaux Sauvages
5 rue des plâtrières, 75020 Paris

à 20h, le samedi à 17h30. Tel : 01 83 75 55 70. Durée : 1h30. Spectacle vu au Théâtre de Choisy-le-roi.


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