Théâtre - Critique

Nana

Nana - Critique sortie Théâtre Paris _Le Lucernaire


Le Lucernaire / d’après Emile Zola / adaptation et mes Céline Cohen et Régis Goudot

Fleur de fumier, roulure née miraculeusement belle au milieu de l’ordure, Nana a les appâts et l’appétit d’une gagneuse et le destin tout tracé des perdantes. Flambeuse bientôt consumée au feu de son désir insatiable, trop convoitée pour être aimée, trop femelle pour être femme et trop animale pour être respectée par les hommes, elle n’est qu’un corps, voué à la corruption. Vérole de son siècle, elle meurt défigurée par les bubons de la variole, en putain aussi puante que le Second Empire affairiste et vicieux, dont elle accompagne l’obscène ascension et la déplorable déréliction. Sedan pour Napoléon le Petit et le pilori de l’opprobre pour la fille à Coupeau : même chute et même honte. Du ruisseau au haut du pavé, on grimpe facilement quand on a la gambette véloce : on y retombe aussi vite, quand on a son tempérament comme seule moralité. Telle est Nana, rendue finalement à la terre dont elle a surgi, comme l’évoque très joliment la dernière chanson d’un spectacle qui réussit le tour de force de tout suggérer de l’œuvre et du jugement de Zola.

 

Le théâtre magnifiant la littérature

 

Céline Cohen incarne avec une force érotique fascinante et une émotion poignante cette enfant de la luxure, qui se vautre dans le luxe et le lucre. Elle campe une Nana odieuse et troublante, garce émouvante, qui ne connaît pas la différence entre les caresses et les coups. Mais la comédienne se fait aussi récitante, distançant par des chansons les excès libidineux de son personnage. Entre les cuisses de Nana, se trouve une arme qui humilie les bourgeois : de cette matrice dévorante, naîtra bientôt la colère de la classe ouvrière, qui fera rendre gorge à ceux qui ont toujours considéré le prolétariat comme un corps à exploiter. Régis Goudot, face à sa partenaire, s’empare des rôles de tous les maquereaux et clients de Nana. Il est à la fois Bordenave, le directeur des Variétés, le banquier Steiner, le comte Muffat, qui perdent leur fortune et leur réputation dans les bras de la courtisane, mais aussi, par éclairs, Zola lui-même, implacable entomologiste de cette société dépravée. Sur un plateau nu, très intelligemment éclairé et sonorisé par Stanislas Michalski, les deux comédiens enchaînent avec un abattage confondant d’aisance les différents tableaux de cette parabole naturaliste. Rien que le jeu et une intelligence suraiguë du texte et de ses fondements philosophiques et politiques, une économie scénique qui mesure ses effets en les rendant remarquablement efficaces : ce spectacle est une des meilleures illustrations de l’hommage et du magnifique service que peut rendre le théâtre à la littérature.

 

Catherine Robert

A propos de l'événement


Nana
_Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris
A partir du 25 septembre 2013. Du mardi au samedi à 21h30 ; le dimanche à 17h. Tél. : 01 45 44 57 34. Durée : 1h10.

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