La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Idées/Débats - Entretien Entretien Jérôme Clément

L’urgence culturelle

L’urgence culturelle - Critique sortie Idées/Débats

Politique culturelle, vie politique et société

Publié le 14 avril 2016 - N° 285

Fondateur et président d’Arte durant vingt ans, à la tête de la Fondation Alliance française depuis 2014, Jérôme Clément tire la sonnette d’alarme. Alors que la culture est une richesse fondamentale de notre vie commune, il dénonce la rupture du lien si précieux et si particulier qui s’est noué en France entre la culture et la politique.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

Jérôme Clément : C’est le constat d’une rupture dans la politique culturelle qui m’a motivé, j’ai voulu réagir, interroger et tenter d’expliquer cette rupture. Le sujet est vaste et complexe, et nécessite pour le comprendre une mise en perspective historique. Je me suis longuement documenté afin de délimiter les enjeux et de définir des repères historiques. A propos du divorce entre culture et politique, suite à de premiers craquements, plusieurs étapes se dessinent. En 2003, la renégociation du régime des intermittents et l’annulation du Festival d’Avignon créèrent une crise aiguë, qui marqua la fin du consensus entre milieu culturel et pouvoir politique. Je date le moment de basculement vers l’abandon de toute ambition culturelle de l’élection à la Présidence de la République de Nicolas Sarkozy en 2007, et cette tendance s’est depuis poursuivie. Ce n’est pas seulement la politique culturelle qui est en jeu, c’est surtout la place de la culture dans la vie politique. La raison principale de ce changement est la prééminence voire l’envahissement  de l’économie et de la finance dans la sphère civile. La culture est devenue une activité reléguée au second plan. Je suis ni nostalgique ni pessimiste, j’essaie d’être lucide et d’ouvrir des perspectives en rappelant l’importance de l’enjeu politique.

« Ce n’est pas seulement la politique culturelle qui est en jeu, c’est surtout la place de la culture dans la vie politique. »

Quelles sont les conséquences de cette priorité économique ?

J. C. : Une telle domination réduit le champ politique et conduit à viser uniquement des objectifs économiques, à considérer l’homme comme producteur, consommateur ou épargnant, en délaissant son désir de penser, rêver, imaginer, créer. Toute activité humaine est susceptible de devenir un objet de commerce, le libéralisme a envahi la société et les hommes politiques suivent et accompagnent le mouvement. Parfois ils en sont de fervents adeptes, parfois ils le combattent, mais globalement c’est ce système qui l’a emporté, et d’autant plus depuis la chute du communisme et l’abandon du référent marxiste qui ont entraîné un manque de structures idéologiques d’appui. La crise économique de 2008 a accéléré le processus, et donné du grain à moudre à ceux qui font de l’économie l’alpha et l’oméga de la vie politique et de la vie collective. Il est vrai que dans certains pays très libéraux comme les Etats-Unis existe une très grande vitalité culturelle. Il ne s’agit pas d’être manichéen et pétri de certitudes, mais de révéler toute l’amplitude du sujet.

Qu’en est-il du clivage entre la gauche et la droite en matière culturelle ?

J. C. : Historiquement, la culture a été un enjeu capital pour des gouvernements de droite comme de gauche. A l’époque du Front Populaire, la culture est pour la gauche un élément fondamental de sa politique de temps libre qui vise la mise en place d’une politique des loisirs et de la culture, sous la houlette de Jean Zay et Léo Lagrange. Pour des raisons différentes, Charles De Gaulle a lui aussi défendu la culture et considérait que la grandeur de la France se traduisait par son armée et par sa pensée, par sa vie culturelle et intellectuelle. Ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles, André Malraux fut le numéro deux de son gouvernement. Plus tard, le gaulliste Jacques Chaban-Delmas considéra aussi la culture comme un pilier de sa « nouvelle société ». François Mitterrand avançait que le projet socialiste était un projet culturel, et il a mis en place une politique culturelle ambitieuse.

Et le gouvernement actuel ? Est-il dans une filiation culturelle ?

J. C. : C’est sidérant et décevant de constater que la gauche a abandonné l’idée d’un grand projet culturel. Après la Présidence de Nicolas Sarkozy, nous pensions revenir à des fondamentaux défendant la place de la culture dans la société. Mais la situation n’a fait que se dégrader. D’une manière générale, à droite comme à gauche, le choix du ministre de la Culture – sans vouloir mettre en cause la ministre actuelle, qui est compétente – est devenu une variable d’ajustement : respecter la parité, effet médiatique… C’est consternant.

L’Europe peut-elle créer une politique culturelle commune voire peut-être une identité commune ?

J. C. : Une commission européenne et un Parlement européen dominés globalement par une pensée libérale ne laissent guère de place pour une politique culturelle commune. Le bilan européen est très modeste. En outre, la politique culturelle peut selon les Etats dépendre de divers leviers : actions publiques ou privées, politiques centrales ou régionales. Nous pouvons nous retrouver dans une identité européenne née suite aux guerres et aux tensions de l’Histoire, mais avec de grandes différences selon les pays.

Quels sont aujourd’hui les enjeux d’une politique culturelle ?

J. C. : La finalité de la politique culturelle est avant tout politique ; il s’agit de définir un ensemble de signes, de codes, de références pour la communauté, d’offrir un moyen de s’épanouir personnellement et de s’intégrer collectivement.Au moment où la question identitaire est centrale, une politique culturelle active permet de se confronter à l’autre et d’accepter divers regards sur le monde, divers récits du monde. L’une des façons de définir la culture, c’est la découverte de l’autre. Comme le dit justement Amin Maalouf, nous sommes composés de plusieurs identités façonnées aussi par une histoire familiale. Un peu comme des poupées russes, mais qui s’emboîtent plus ou moins bien ! L’enjeu culturel est très important pour la vie d’un pays. Et il est désolant de se rendre compte que cet objectif a été oublié et n’est plus perçu comme fondamental. J’ai écrit ce livre pour tirer la sonnette d’alarme.

 

Propos recueillis par Agnès Santi

 

A lire. L’Urgence culturelle. Editions Grasset, 2016.

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