Théâtre - Critique

L’Occupation

L’Occupation - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l’Oeuvre


d’Annie Ernaux / mes Pierre Pradinas

Il y a bien des ressemblances entre les carrières et les personnalités de Romane Bohringer et d’Annie Ernaux : un talent précoce, une grâce sans afféterie, une discrétion pudique, une rare rigueur professionnelle et morale et une authenticité qui les rendent immédiatement sympathiques. Leur rencontre autour du texte que met en scène Pierre Pradinas semble évidente, et les mots de l’écrivain, à la blondeur réservée, sonnent avec justesse quand ils sont dits par cette actrice athlétique et bouillonnante qui révèle, par son énergie sidérante, leur force, leur humour et leur incroyable précision. L’histoire est apparemment simple, comme souvent chez Annie Ernaux : Pierre Pradinas prend le parti de la mettre en scène avec une économie semblable à celle que choisit sa créatrice pour la raconter. Une femme aime un homme, le quitte, mais supporte mal qu’il la remplace par une autre dont il lui cache le nom. A partir des quelques éléments glanés au fil des confessions de l’ancien amant (la concurrente amoureuse a quarante-sept ans, elle enseigne à l’université, elle habite avenue Rapp), l’héroïne tisse les rets d’une jalousie obsessionnelle, dans laquelle s’abîme son esprit.

De la confession à l’œuvre

Par son corps, sa voix, ses gestes, ses déplacements, Romane Bohringer exprime les effets taraudants de « l’occupation » subie par son personnage. Mais elle parvient surtout, avec un art consommé de la distanciation, à révéler l’ironie caustique et l’humour hilarant dont fait preuve cette femme, qui explore ses affects en même temps qu’elle les vit. La comédienne rend ainsi un remarquable hommage à ce qui constitue un des intérêts majeurs de l’écriture d’Annie Ernaux, brillante sociologue et remarquable ethnologue de la vie moderne. « Les chagrins, quels qu’ils soient, deviennent supportables si on les met en récit ou si l’on en tire une histoire », disait Karen Blixen. La traversée littéraire et théâtrale qu’entreprend Romane Bohringer le prouve avec un éclatant talent : elle semble non pas révéler un aveu – ce qui serait platement sordide – mais une œuvre, offrant une dimension universelle à ce qu’elle raconte. Elle conduit ainsi le spectateur conquis au plaisir de la complicité dans le rire et de l’empathie dans la souffrance. Accompagnée par Christophe « Disco » Minck (à la harpe, au synthétiseur et au piano) ainsi que par les images intelligemment suggestives de Simon Pradinas, Romane Bohringer irradie de force, d’intelligence et de grâce dans ce spectacle très beau et très réussi.

 

Catherine Robert

 

A propos de l'événement


L’Occupation
du jeudi 4 octobre 2018 au dimanche 2 décembre 2018
Théâtre de l’Oeuvre
55, rue de Clichy, 75009 Paris.

Du jeudi au samedi à 19h ; dimanche à 17h30. Tél. :01 44 53 88 88. Durée : 1h05.


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