Théâtre - Entretien

Lisa Wurmser

Lisa Wurmser - Critique sortie Théâtre


Qui est Moritz Rinke ?
Lisa Wurmser : Il est journaliste de formation, auteur dramatique et romancier. C’est la première fois qu’il est monté en France. Je l’ai découvert en 2005, alors que j’étais à Berlin. J’ai lu dans le journal un article sur cette pièce, dont le sujet avait l’air passionnant, et j’ai acheté le texte. C’est l’originalité de son œuvre qui m’a poussée à la monter : j’ai aimé le mélange, dans son écriture, du sens de l’observation, propre au journaliste, et de cette plume assez fantasque, propre à l’auteur romanesque. De la même manière qu’il y a une touche Tchekhov, il y a une touche Rinke : à la fois très ironique et en même temps pleine de poésie. Cette alternance entre le réalisme et le loufoque m’a guidée dans la direction d’acteurs car il traite les personnages avec finesse et part du réel pour aller vers quelque chose de plus fantasque, ce qui a permis d’imaginer une mise en scène allant, elle aussi, du réalisme vers le surréalisme, servie par des acteurs extrêmement brillants, à la fois dans une très grande justesse et une très grande fantaisie.
 
Quel est le sujet de cette pièce ?
Lisa Wurmser : Moritz Rinke s’est inspiré d’un fait divers allemand assez récent. Une entreprise qui voulait licencier ses cadres les a rassemblés autour d’un projet extraordinaire qui n’existait pas. Ils ont travaillé pendant six mois sur du vent et quand ils l’ont compris, ils sont tous tombés malades et sont partis d’eux-mêmes. Rinke imagine un huis clos qui réunit, dans un lieu assez étrange, sous la houlette d’un mystérieux et énigmatique Docteur Leonhard, des cadres supérieurs chargés d’un projet pharaonique : un architecte, un ingénieur en bâtiment, le maire d’une petite ville, un manager, une secrétaire, un responsable des ressources humaines, un capitaine chargé du transport des matériaux. Ils travaillent à fonder une cité idéale, au nord de la Baltique.
 
« Il y a une touche Rinke : à la fois très ironique et en même temps pleine de poésie. »
 
Quelle est la forme de cette cité idéale ?
Lisa Wurmser : Un des centres de cette cité idéale est un parc à thèmes sur les rêves disparus : des rêves politiques, artistiques, littéraires, philosophiques, des criques au bord de la mer, des académies où on peut imaginer, penser, rêver. Les personnages travaillent jour et nuit et deviennent de plus en plus obsédés par la réussite de ce projet, jusqu’au moment où ils sont mis en échec : ils s’effondrent intérieurement et leurs personnalités sont anéanties. On comprend alors que ce projet est une sorte de thérapie de groupe mise en place pour que les gens renoncent à leurs rêves et reviennent à des choses plus réalistes, plus pragmatiques, moins utopistes. Tous sont attaqués sur les points les plus sensibles de leurs rêves : chacun a un rêve secret et va être manipulé au sein de ce rêve.
 
Qu’est-ce qui vous a séduite dans cette pièce ?
Lisa Wurmser : Tous souffrent d’une addiction au travail. C’est cette situation qui m’a d’abord intéressée. Rinke décrit très bien les rapports de force, les luttes de pouvoir au sein d’une entreprise. Cette pièce pose aussi le problème de la ville, de la manière de vivre ensemble, de la façon d’améliorer la cité : cela me préoccupe beaucoup. Ce qui est assez fort aussi, c’est que, alors que souvent, dans le théâtre contemporain, on parle des marginaux, ici, les personnages ne sont pas des marginaux, mais des gens tout à fait insérés dans leur milieu professionnel et qui deviennent de pauvres bougres à force de manipulation. C’est à la fois tragique et très drôle, très satirique. Pendant que je travaillais à préparer la mise en scène, j’ai trouvé le plan de la stratégie de l’entreprise France Telecom expliquant comment agir avec ses employés. Je diffuse ce plan dans le spectacle et on s’aperçoit qu’il ressemble furieusement à la stratégie du Docteur Leonhard : cette coïncidence, très troublante, rend d’autant plus passionnante cette pièce qui est certes une histoire à dormir debout, mais, hélas, une histoire à la résonnance très actuelle !
 
Propos recueillis par Catherine Robert

 

Vineta, la république des utopies, de Moritz Rinke ; texte français de Patrick Démerin et Lisa Wurmser ; mise en scène de Lisa Wurmser. Du 28 avril au 29 mai 2011. Du mardi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h30. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 28 36 36.

A propos de l'événement




A lire aussi sur La Terrasse

  • Théâtre - Entretien

Alain Françon

Etre dans les motsAprès Extinction de Thomas [...]

  • Théâtre - Critique

Le Sang des amis

Jean Boillot s’entoure d’une équipe [...]

  • Théâtre - Gros Plan

24 heures

La cinquième édition du festival condense sur [...]