Théâtre - Critique

L’île des esclaves

L’île des esclaves - Critique sortie Théâtre


L’île des esclaves, comédie en un acte et en prose représentée par les Comédiens Italiens en 1725, est la pièce de Marivaux la plus ramassée qui soit, bouclée en onze scènes vives et allègres. Le rythme théâtral va l’amble, depuis les plaisanteries grotesques et jeux de mots triviaux d’Arlequin qui répond ainsi à son maître naufragé comme lui, à la question de ce qu’ils vont devenir : « Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts de faim : voilà mon sentiment et notre histoire. » En échange, la pièce s’achève sur une vision de société nouvelle plus harmonieuse, où les différences de condition seraient transcendées par « le cœur bon, la vertu et la raison ». Iphicrate et son valet Arlequin ont fait naufrage sur l’île des esclaves, fort dangereuse pour le premier qui sait que les habitants insulaires ont pour coutume de « tuer tous les maîtres qu’ils rencontrent, ou de les jeter dans l’esclavage ». Voilà qui fait enfin sourire de plaisir Arlequin. Quant à Trivelin (Christian Huitorel), il gouverne l’île selon l’équité et mène chacun à la conscience de soi et de son état : « Nous ne vous vengeons plus, nous vous corrigeons, nous vous humilions. »
 
Retour à Athènes bien mérité
 
Les maîtres doivent reconnaître leur tyrannie : Iphicrate (Mathias Casartelli) et Arlequin (Cédrik Lanoë) échangent leurs vêtements tandis qu’Euphrosine (Caroline Frossard) et Cléanthis (Nathalie Veneau) font de même, plus douloureusement peut-être car Cléanthis en a trop sur le cœur, pour ce qui est du mépris de sa maîtresse. Les valets devenus des maîtres dans leur apparence vont jeter chacun leur dévolu sur l’ancien maître ou ancienne maîtresse de l’autre, un chassé-croisé social et amoureux improbable dont ils reviendront avec sagesse, Arlequin naturellement et Cléanthis avec plus de réticence. La leçon a été plutôt dure et cinglante pour les mauvais élèves, mais la dignité est retrouvée et le vaisseau pour un retour à Athènes bien mérité est annoncé. La mise en scène de Christian Huitorel est juste, efficace et percutante. Quelques pneus abandonnés pour dessiner un jardin, des habits blancs abandonnés par les aristocrates perdus et une chemise country carreaux rouges et noirs pour un Arlequin bien ancré dans le réel. Le gouverneur de l’île Trivelin est vêtu d’un uniforme enfantin de marin, un fusil de bois à l’épaule. La comédie est enlevée malgré son amertume, selon un Marivaux qui s’adonne à la philosophie tandis que l’amusement et le jeu sur le plateau n’en finissent pas de divertir un public enjoué à observer tant d’extravagances en si peu de temps.
 
Véronique Hotte

L’île des esclaves, de Marivaux ; mise en scène de Christian Huitorel. Du 8 juin au 27 août 2011. Du mardi au samedi à 21h30, les dimanches 12 et 19 juin à 19h. Théâtre du Lucernaire 53 rue Notre-Dame-des-Champs. Réservations : 01 45 44 57 34

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