Les Rivaux de Richard Brinsley Sheridan, mise en scène d’Anne-Marie Lazarini

Un soupçon de Marivaux, voire Beaumarchais. Un zeste de Molière. Une pincée de Goldoni. Avant tout un parfum de Shakespeare. Mais au-delà de ce qu’on croit reconnaître, c’est d’abord un univers vraiment singulier qui se découvre, une langue surtout qui caracole, joue à chaque instant de ses effets, sert en un seul élan le récit et le geste théâtral, avec une distance amusée, une jubilation complice, un à-propos piquant… so deliciously and uniquely British. Sans jamais se prendre au sérieux, mais avec une légèreté revigorante, même si au détour d’une réplique la cruauté peut surgir sans scrupule aucun, le plus souvent enrobée dans un sourire. Quelle aventure que l’amour ! Quel imbroglio ! Sheridan s’est inspiré de sa propre expérience pour écrire cette pièce, car avant des noces officielles il a connu plusieurs épisodes tumultueux dont enlèvement de l’aimée, duels avec ses rivaux et mariage secret. Dans cette comédie rocambolesque qu’il écrit à l’âge de 24 ans, les personnages sont soumis à rude épreuve, autant par les travestissements, quiproquos et injonctions diverses – de la stricte obéissance aux aînés pour les plus jeunes à la défense de l’honneur pour les gentilshommes – que par leur caractère même.  Ce n’est en effet pas une mince entreprise que de savoir apprécier la réalité sans s’aveugler, et de parvenir à être maître de ses actes. Au centre de l’intrigue, la si romanesque Lydia, « imprévisible et fantasque », qui refuse l’idée d’un mariage de convenance et aime avec délice un jeune homme sans le sou. Qui n’est pas celui qu’on croit. Sa tante, Mrs Malaprop, lui destine un autre prétendant adapté à son rang. Merveilleusement naïve et drôle, elle est un personnage mythique outre-manche, connue pour son langage alambiqué truffé de néologismes cocasses ou de mots employés à mauvais escient.

Jubilation et vivacité

A cet égard, l’adaptation fluide de Sylviane Bernard-Gresh et Frédérique Lazarini est une réussite, dans une langue vive à la portée immédiate. Pour un auteur qui devint homme politique et orateur hors pair, apprécié pour ses brillants discours au Parlement, le choix de l’humour et d’une légèreté qui confine à l’extravagance signifie avec brio son amour du langage. Dans l’esprit d’un théâtre de tréteaux et d’un théâtre de troupe, cette jubilation et cette vivacité imprègnent toute la mise en scène d’Anne-Marie Lazarini, ainsi que la scénographie astucieuse conçue par François Cabanat, faite de diverses toiles peintes qui se déplacent. Epuré et stylisé, le dispositif laisse toute latitude à l’épanouissement de la langue ancrée dans le présent du plateau. L’équipe de comédiens chevronnés que la metteure en scène a réunis, tous liés à l’histoire de ce si précieux et bien nommé Artistic Théâtre, se saisit avec bonheur de cette partition : Catherine Salviat, Thomas Le Douarec, Alix Bénézech, Cédric Colas, Charlotte Durand-Raucher, Philippe Lebas, Bernard Malaterre, Marc Schapira, Willy Maupetit, Sylvie Pascaud jouent à l’unisson. Dans le plaisir du théâtre et le tumulte des élans du cœur.

Agnès Santi