Théâtre - Critique

Les pièces manquantes d’Adrien Beal

Les pièces manquantes d’Adrien Beal - Critique sortie Théâtre Paris La Tempête - Cartoucherie


Mes Adrien Beal

La perte, le manque, l’absence. Voilà certainement des motifs chers à Adrien Béal, que le metteur en scène du remarquable Perdu connaissance réinvestit d’une manière originale dans Les pièces manquantes. Un dispositif en forme de puzzle géant composé de pièces qui s’assemblent différemment chaque soir. L’épisode 13 en cette première au théâtre de La Tempête – 12 représentations avaient été données à l’Atelier du Plateau avant le confinement –  se nommait «  témoin oculaire  ». En plat de résistance, une longue scène autour de l’histoire d’amour entre une professeure de musique de 38 ans et son élève qui en a quinze. Adrien Béal et son équipe se plaisent toujours à poser des questions éthiques déstabilisantes. La mère de l’ado et son beau-père viennent de leur côté demander des explications à la professeure, si elle se sent coupable, si elle aime le jeune homme, s’ils font l’amour… Chacun des camps convie un ami à témoigner. C’est à la fois drôle et plein de dilemmes. Joué toujours «  au présent  » comme on dit. C’est-à-dire avec cette impression que les comédiens ne savent pas ce qu’ils vont prononcer avant de le faire, ni comment. Silences pleins de sens et corps nerveux, plongés dans  l’intensité du moment, entraînent d’autant mieux les spectateurs avec eux que ces derniers sont placés dans un dispositif tri-frontal, presque au contact des acteurs-personnages. Parsemés sur scène et dans le public, les jeunes musiciens et musiciennes (à vent) d’une fanfare du XIXème arrondissement parisien ponctuent la pièce de transitions jazzy et permettent d’enjamber allègrement le quatrième mur à coups d’échanges où la fiction se mêle à la réalité.

Que devient l’ado dans l’adulte  ?

Il peut exister dans un puzzle des pièces disparates. Autour de cette histoire d’amour moralement discutable, en cet épisode 13 donc, l’ébauche d’une rupture, des musiciens qui essayent de jouer sans se regarder, un couple qui héberge au pied de son lit un homme étrange… Et pour donner une unité au tout, la question de l’adolescence qui revient, de ce que devient l’ado dans l’adulte, face à l’adulte, de comment il survit avec le temps, ou peut-être succombe. Le pari de la troupe – on retrouve ici les mêmes acteurs que dans Perdu connaissance – consiste à composer un paysage différent chaque soir, en piochant différents extraits des trames qu’elle a établies en amont, et en se permettant même de les modifier de l’intérieur. L’idée paraît être d’explorer la matière de ce mille-feuilles que l’on peut traverser de mille façons différentes, et que l’on nomme bien univoquement le réel. Une sorte de traversée aux optiques multiples d’une matière par essence inépuisable qui donne lieu à un patchwork de 40 représentations auxquelles on pourrait entièrement assister. Si l’on imagine mal un spectateur revenir pour chaque variation, le pari de proposer chaque soir une partition qui se suffit à elle-même est largement tenu. Pour  un amateur d’écran, c’est comme prendre une série en cours, avec son univers, ses intrigues multiples qui demeurent irrésolues et donnent envie d’en savoir plus, le tout avec cette patte de la compagnie du Théâtre déplié, à nulle autre pareille, comme promesse de ne jamais se lasser.

Eric Demey

A propos de l'événement


Les pièces manquantes
du jeudi 17 septembre 2020 au dimanche 18 octobre 2020
La Tempête - Cartoucherie
route du champ de manœuvre, 75012 Paris.

du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30. Tel  : 01 43 28 36 36.


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