Théâtre - Critique

Les Damnés de la terre

Les Damnés de la terre - Critique sortie Théâtre Paris Le Tarmac


Le TARMAC / d’après l’œuvre de Frantz Fanon / conception et mes Jacques Allaire

Fanon n’est pas un romantique même si tout, dans sa biographie, relève du chromo héroïque. La leucémie foudroyante, la mort précoce, le choix de la terre algérienne pour y combattre et y être enterré, la beauté du visage et le souffle de la langue, la lucidité et le courage des analyses : tout, en Frantz Fanon, échappe à la médiocrité et à la facilité. Mais tout résiste aussi, en lui, à la caricature du chromo, à commencer par l’affirmation que la couleur est un masque : le racisme naît du cliché fantasmé et plaqué sur le visage des stigmatisés. Jacques Allaire assène cette évidence dès la première scène de son spectacle et la montre sans avoir besoin de la démontrer. En choisissant de recouvrir de noir les corps des comédiens, noirs comme blancs, il prouve que le Noir n’existe que dans les taxinomies ripolinées du discours essentialiste. Comme l’analyse Sartre à propos de l’antisémitisme (Réflexions sur la question juive est publié six ans avant Peau noire masques blancs), le Noir, comme le Juif, n’est reconnaissable que pour celui qui méprise ou déteste l’idée qu’il s’en fait. C’est la pensée de Fanon que Jacques Allaire met ainsi en images et en scène, éludant à la fois la sécheresse de l’abstraction et la platitude de l’illustration.

Pensée en images

L’évitement de ce double écueil tient sans doute à la manière si particulière de travailler de Jacques Allaire. Il compose son spectacle à partir de croquis préparatoires librement inspirés des textes. La terre dans laquelle s’ensevelissent les damnés de l’exploitation, les barreaux derrière lesquels se tiennent les comédiens, les lits d’hôpital qui rappellent celui de Blida où le psychiatre Fanon soigna les maux de la colonisation, et les traumatismes des bourreaux autant que ceux des victimes, l’eau lustrale de la liberté faisant perdre leur masque de couleur à ceux qui s’en aspergent : le plateau apparaît comme métaphore du propos et évocation de ses soutènements historiques, psychologiques ou existentiels. Le texte, remarquablement composé à partir des extraits de l’œuvre de Fanon, n’est jamais oblitéré par les images, malgré la force sidérante et la beauté de celles-ci. Difficile d’imaginer plus intelligente introduction et plus pertinent hommage aux réflexions de Frantz Fanon. La singularité et l’originalité du créateur Jacques Allaire rencontrent celles d’une pensée : ensemble, elle font naître l’homme universel dont Fanon esquissa la figure. On ne s’étonnera pas que cet accouchement ait lieu avec le soutien maïeutique de Valérie Baran et au TARMAC, asile parisien d’une présence africaine à la fierté désaliénée.

 Catherine Robert

 

A propos de l'événement


Les Damnés de la terre
du mardi 5 novembre 2013 au vendredi 6 décembre 2013
Le Tarmac
159, avenue Gambetta, 75020 Paris.
Du 5 novembre au 6 décembre 2013. Du mardi au vendredi à 20h ; supplémentaire le jeudi à 14h30 ; samedi à 16h. Tél. : 01 43 64 80 80. En tournée de janvier à mars 2014. Du 14 au 24 janvier 2014, Je suis encore en vie, de Jacques Allaire, seconde partie du diptyque (du mardi au vendredi à 20h ; supplémentaire le jeudi à 14h30 ; samedi à 16h).

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