Théâtre - Critique

Les Criminels

Les Criminels - Critique sortie Théâtre


Poète philosophe et germaniste, Theodor Tagger (1891-1958), alias Ferdinand Bruckner, se tourne dans les années vingt vers l’engagement du théâtre moderne allemand. Contemporain de Brecht et ami de Von Horvath, il privilégie la pièce d’actualité, mêlant documents, témoignages, fiction et réflexion morale. Les Criminels (1928), créé au Théâtre des Arts par Georges Pitoëff en 1929, traite des questions berlinoises qui agitent la vie sociale allemande, « perte des valeurs liées à la défaite et à l’anarchie capitaliste, cynisme affairiste, opportunisme politique ou pessimisme nihiliste des jeunes générations… » Émancipation sexuelle et conflits de classe, la société entière est « dépravée », jeunes gens de bonne famille et mères bourgeoises, patronne, cuisinière, serveuse et chômeur, tous sont réduits à la misère et au « mal », crise économique oblige. La pièce traduite par Laurent Muhleisen diffuse la langue du dominé comme celle du dominant. À l’intérieur d’un immeuble, se déroule une Vie mode d’emploi de Perec avec jeu de scènes simultanées. Histoires d’argent et de sexe, des « crimes » sont commis : vol, meurtre avec faux coupable, infanticide et faux témoignage au profit d’un maître chanteur, pour cacher « le crime contre-nature sur personne de même sexe ». L’homosexualité est traitée avec une rare liberté et vérité dans le respect de l’intime.
 
Un enchâssement de contes noirs
 
Richard Brunel n’a pas boudé son bonheur en montant ce morceau de vie savoureux, cruel et cynique, à travers la force vivante du théâtre comme chambre de révélation. Rendons grâce aux acteurs Murielle Colvez, Damien Houssier, Laurence Roy, Claude Duparfait, Sava Lolov, Mathieu Genet, Claire Rappin, Cécile Bournay, Valérie Larroque… La scène est une ronde, un enchâssement de contes noirs, avec ses plateaux tournants et ses paravents transparents qui dévoilent en alternance les familles imbriquées. Le plaisir des Criminels, c’est la résonance de La Ronde de Schnitzler, ou l’écho des Irresponsables de Broch. Avec procureur, juges et avocats, la scène magnifique du procès est illustrée de philosophie. La prestance cérémoniale – robe noire, robe rouge et hermine blanche – n’échappe pas au plateau qui sait que le crime fascine et qu’il doit être jugé. Mais « Qu’est-ce que le droit s’il n’est pas humain ? » La parole spontanée des « coupables » et celle, persuasive des juges, n’épargnent pas les injustices. Le retour à l’immeuble est amer ; les appartements sont investis par les cyniques qui ont pris le pouvoir, aptes à éliminer les plus faibles. Une fable d’aujourd’hui. Il n’est pas facile d’échapper à la justice formelle et rigide qui nous habite, « mais nous pouvons la combattre…, et ainsi reconquérir notre âme ». Reste, pour le jeune écrivain de la pièce et le messager de l’oeuvre, le salut par le travail, une voix qui fait entendre ce théâtre d’art et d’engagement de notre temps.
 
Véronique Hotte

Les Criminels, de Ferdinand Bruckner ; traduction de Laurent Muhleisen, ; mise en scène de Richard Brunel. Du 2 au 6 novembre 2011 au Théâtre des Célestins.

Du 22 au 25 novembre à la Comédie de Saint-Étienne. Les 1er et 2 décembre au Grand T de Nantes. Les 7 et 8 décembre au CDDB Théâtre de Lorient. Spectacle vu à La Comédie de Valence – CDN Drôme – Ardèche.

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