Théâtre - Critique

L’écroulement à hauteur d’enfant : « Lichen » de Magali Mougel est mis en scène avec finesse par Julien Kosellek

L’écroulement à hauteur d’enfant : « Lichen » de Magali Mougel est mis en scène avec finesse par Julien Kosellek - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville


Théâtre de Belleville

Comme le Bartleby de Melville, le père préfère ne pas. Ne pas plier, ne pas déménager, ne pas réparer les fuites ; rester dans la maison promise à la démolition jusqu’à ce que les pelleteuses aient démantelé son quartier et fait fuir les oiseaux de son pigeonnier, qu’il sert à la petite en ragoût, faute de grives. Écrit en résidence à Culture Commune, scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, le texte de Magali Mougel est teinté de références locales : les terrils, les coulonneux, la clope de la débine, qu’on allume pour attendre les lendemains qui ne chantent plus, pour tromper l’ennui et la faim, pour se donner une contenance face aux questions humiliantes de l’enfant qui ne comprend pas pourquoi la mère est partie, les murs s’effritent et le froid règne dans la maison. Mais Magali Mougel évite soigneusement les dérives du misérabilisme et du sordide : sa langue, puissante et poétique, a une portée universelle. Tous les enfants du monde aujourd’hui privés de toit, de protection et de chaleur, semblent revivre à travers les incompréhensions de cette petite fille victime de la faiblesse et de la lâcheté des adultes.

Poésie à l’éclatante fulgurance politique

Le décor de Xavier Hollebecq est minimaliste : les comédiennes jouent sur et devant une estrade au mobilier de fortune, devant trois panneaux avec deux macôts, des dessins d’enfants et un poster de Bora-Bora, le rêve de la mère pour échapper au ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle. La scénographie, à l’instar du texte, fait le choix de l’évocation contre celui du réalisme, offrant aux trois comédiennes d’interpréter le texte comme un oratorio dans lequel alternent chœurs, arias et récitatifs. La création musicale d’Ayana Fuentes-Uno accompagne le jeu. Natalie Beder, Ayana Fuentes-Uno et Viktoria Kozlova sont, ensemble ou à tour de rôle, l’enfant, le père, la mère, l’institutrice, les démolisseurs. La mise en scène de Julien Kosellek est ciselée. Elle sert admirablement le texte, empreint à la fois de mélancolie et de colère, de tendresse et de violence, d’éclairs lyriques et de désespoir politique. Le monde nouveau se construit sur les ruines et les cadavres de l’ancien, pétrifié dans le désespoir et le ressentiment. Dans le bassin minier comme ailleurs, le désastre humain s’étend comme le lichen, ces « drôles de taches rouges » qui sont « la seule chose qui pousse après l’éruption d’un volcan », dit Magali Mougel. La tragédie est en marche ; Lady Macbeth n’a pas fini de se laver les mains…

Catherine Robert

A propos de l'événement


Lichen
du lundi 4 mars 2024 au dimanche 31 mars 2024
Théâtre de Belleville
16, passage Piver, 75011 Paris

Lundi et mardi à 21h15 ; dimanche à 17h sauf les 5 et 26 mars. Tél. : 01 48 06 72 34. Spectacle vu au Théâtre Antoine-Vitez – Scène d’Ivry en janvier 2024.


A lire aussi sur La Terrasse

  • Danse - Gros Plan

« Club Amour », le club très select de Pina Bausch et Boris Charmatz

Un club très sélect où trois œuvres de Pina [...]

Du vendredi 22 mars 2024 au 23 mars 2024
  • Musique électronique-agenda

Nils Frahm, un univers planant, entre néoclassique et électronique

Le pianiste allemand Nils Frahm développe un [...]

Du mercredi 20 mars 2024 au 21 mars 2024
  • Théâtre - Critique

Macha Makeïeff crée une admirable mise en scène de « Dom Juan »

Après Trissotin ou Les Femmes savantes (2015) [...]

Du samedi 9 mars 2024 au 22 mars 2024