Théâtre - Critique

Le Monde d’hier

Le Monde d’hier - Critique sortie Théâtre Malakoff Théâtre 71 – Scène nationale de Malakoff


Reprise / Théâtre 71 / d’après Stefan Zweig, adaptation Laurent Seksik / mes Jérôme Kircher et Patrick Pineau

C’est dans sa fonction première et essentielle que s’affirme ici le théâtre, celle de l’adresse au public, du texte incarné, celle qui accorde aux mots leur pleine puissance et résonance, qui sculpte aussi leur beauté et leur mouvement précis et condensé. C’est un immense auteur qui se fait entendre, dont les nouvelles si saisissantes ont régulièrement été portées à la scène – Vingt-quatre heures de la vie d’une femmeLe Joueur d’échecsAmok… Un auteur aussi de riches biographies qui disent tout son amour de la culture – Marie-AntoinetteJoseph Fouché… Autrichien, juif, écrivain, citoyen du monde humaniste et pacifiste, Stefan Zweig incarne mieux que tout autre cet esprit viennois brillant et tolérant. « Vivre et laisser vivre, c’était la maxime de Vienne », souligne-t-il… S’il rédigea son autobiographie, ce fut surtout pour témoigner de ce basculement terrifiant qui emporta l’Europe tout entière. Pour raconter et commenter l’histoire d’une vie mais aussi de tous ses frères humains, à travers un acte testamentaire destiné aux générations futures, avant la fin terrible, un soir de février 1942 au Brésil.

Poignante lucidité

« Jamais, (…) une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle puissance intellectuelle dans une telle décadence morale. » Brahms, Mahler, Strauss, Freud, Schnitzler, Hofmannsthal… vécurent à Vienne, avant qu’elle ne devienne une ville de province allemande. L’adaptation de Laurent Seksik se concentre sur le parcours de l’écrivain, qui tragiquement éclaire cette terrifiante chute. Ecrivain célébré puis juif honni, Stefan Zweig a quitté l’Autriche en 1934 pour Londres, avant la Shoah. Quel effarant contraste entre la culture rayonnante du début du siècle, bruissant entre cafés viennois et Burgtheater (même si le maire Karl Lueger de 1897 à 1910 déjà était antisémite), et la défaite de la raison, le triomphe d’une brutalité et d’une barbarie que rien n’a pu empêcher, y compris un haut degré de civilisation. « Pestilence des pestilences », le poison du nationalisme a anéanti l’Europe. Grâce à un jeu d’une netteté et d’une subtilité remarquables, d’une sobriété et d’une intériorité retenue qui font entendre chaque mot, Jérôme Kircher accorde à ce témoignage toute sa puissance dramatique, et toute sa poignante lucidité. Co-mise en scène avec son ami Patrick Pineau, la pièce évite tout superflu et se concentre sur l’essentiel. En cela, la mise en scène fait écho à l’écriture si extraordinairement limpide de Stefan Zweig. Dans cet espace étroit, réduit, quasi nu, émerge cette voix d’une Mitteleuropa disparue. C’est une présence d’acteur et c’est un fantôme d’écrivain qui nous alertent. A méditer…

Agnès Santi

A propos de l'événement


Le Monde d’hier
du mardi 20 novembre 2018 au vendredi 23 novembre 2018
Théâtre 71 – Scène nationale de Malakoff
3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff

Les 20 et 23 novembre 2018 à 20h30, les 21 et 22 novembre à 19h30. Durée de la représentation : 1h10. Tél. : 01 55 48 91 00. Egalement du 15 au 17 novembre 2018 à la MC2 à Grenoble.


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