Théâtre - Critique

Le Garçon du dernier rang

Le Garçon du dernier rang - Critique sortie Théâtre


« L’écriture théâtrale, c’est celle qui remplit l’espace. », dit Jorge Lavelli. A cet égard, celle du dramaturge espagnol Juan Mayorga, que Lavelli tient pour un des auteurs les plus doués et les plus pertinents de sa génération, correspond parfaitement à cette définition au point de constituer un défi audacieux pour qui s’en empare. Défi que Jorge Lavelli relève avec brio : à l’écriture stratifiée de Mayorga, qui alterne les points de vue, les niveaux de récit et les intrigues parallèles, il impose une mise en scène qui joue du fondu enchaîné avec une aisance quasi cinématographique, un rythme trépidant qui correspond parfaitement au suspense sur lequel repose l’histoire, et une économie scénographique qui permet au jeu des comédiens de se déployer avec une remarquable fluidité. Ces derniers se voient imposer par l’ensemble des changements de ton et de posture qu’ils maîtrisent avec rigueur et avec force, se pliant à une direction d’acteurs implacable qui mime en ses effets la manipulation machiavélique dont l’auteur ausculte les méandres.
 
Mise en abyme de la perversion
 
L’histoire inventée par Juan Mayorga est en effet celle de deux personnalités perverses prises au piège de leurs fantasmes. Claude (extraordinaire Sylvain Levitte qui fait ici preuve d’un talent prometteur) suit depuis le dernier rang de la classe les cours de Germain, professeur de lettres que la médiocrité de ses élèves a transformé au fil des ans et des copies en un cynique à l’élégance désabusée. Germain a depuis longtemps renoncé à débusquer le génie chez les apprenants jusqu’à ce qu’il en découvre les germes dans une rédaction de Claude qu’il pousse alors à continuer l’œuvre de voyeur qu’il a commencé d’écrire en se faisant l’entomologiste de la famille de Rapha, un de ses camarades. Claude manipule la famille de Rapha, Germain manipule Claude en encourageant en lui l’écrivain et le maton vicieux jusqu’à se retrouver lui-même pris dans les filets qu’il a aidés à tisser. Le maître et l’élève sont tous les deux otages de cette vie par procuration qu’est la littérature et dont seule la femme de Germain sait qu’elle est le gage d’un malheur assuré. Jouant des situations davantage que des psychologies, Juan Mayorga réussit puissamment à installer le malaise sans jamais faire autre chose qu’en indiquer les circonstances. De même, Jorge Lavelli n’impose pas de lecture moralisatrice à cette fable cruelle qu’il réussit à traiter en évitant les écueils du naturalisme. Les personnages qu’il fait évoluer sur un espace modulé par le déplacement des acteurs et quelques éléments de décor réduits au minimum, oscillent comme des pantins dans le trouble du dilemme entre déterminisme et liberté, chacun semblant à la recherche du maître sur lequel régner, preuve que le plaisir du manipulateur s’origine dans la jouissance du manipulé : jeu de miroirs dont le théâtre est la constante illustration.
 
Catherine Robert

Le Garçon du dernier rang, de Juan Mayorga ; mise en scène de Jorge Lavelli. Du 3 mars au 12 avril 2009. Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h30 ; jeudi à 19h30 ; dimanche à 16h. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 28 36 36.

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