L’Absence de père librement adapté de Platonov d’Anton Tchekhov par Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix et Un sacre de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan

Après ses versions de Démons et Une maison de poupée, remarquables d’intelligence dramaturgique et de virtuosité scénique, Lorraine de Sagazan s’est imposée comme une des meilleures et des plus originales créatrices de la scène théâtrale actuelle, poursuivant son exploration des textes fondateurs en relisant Platonov, adapté avec Guillaume Poix. Se concentrant sur l’essentiel de l’histoire de ce raté lumineux, parangon du désir incertain, les comédiens « poussent les limites du cadre de représentation en se faisant les interprètes de notre époque ». En interrogeant la notion d’héritage et la figure du père, ils font du théâtre un « espace où l’émotion n’est jamais jouée mais vécue au présent ».

Renouer, réparer, apaiser

Platonov offre son thème à Un Sacre par une de ses dernières répliques : « Enterrer les morts et réparer les vivants ! » Pendant un an, Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix ont rencontré 365 témoins auxquels ils ont demandé : « Quel écho le mot « réparation » a-t-il dans votre vie ? », créant ainsi la matière textuelle de leur nouvelle œuvre. A l’instar des pleureuses antiques, les neuf interprètes prennent en charge ces histoires vraies, récits précieux et lourds de secrets de ceux qui ont vécu une perte terrible et n’ont pas réussi à faire la paix avec leurs fantômes. Le théâtre se fait cérémonie pour créer du récit après la fracture, interagir avec les morts et dire leur histoire. Réconforter les fils dans L’Absence de père, renouer les fils avec Un sacre : le travail de La Brèche n’est pas seulement de la sociologie appliquée, il est plutôt le théâtre rendu à sa dimension cathartique, inventeur d’images marquantes, lumineuses et sagaces.

Catherine Robert