Théâtre - Critique

La Vie devant soi

La Vie devant soi - Critique sortie Théâtre Clamart Théâtre Jean Arp


d’après Romain Gary (Emile Ajar) / mes Simon Delattre

Du bout des lèvres, de Barbara, en ouverture : Nabila Mekkid, voix chaude, sensuelle et rocailleuse, en offre une interprétation frémissante qui donne le ton au spectacle. Fourrure douillette, minijupe en cuir et talons vertigineux : l’effronterie, la fragilité et la tendresse des gagneuses qui vont aux asperges comme on va à la mine apparaissent d’emblée, et la comédienne suggère en trois pas et quelques accords de guitare l’ambiance du Belleville des années 1970, qui sert de décor à la vie de Momo. Le « fils de pute » a été recueilli dans le clandé pour orphelins tenu par Madame Rosa, ancienne prostituée qui élève les petits des autres. Madame Rosa n’est pas la mère de Momo, de même que Monsieur Hamil n’est pas son père, et l’enfant d’origine arabe qui a appris à réciter les prières juives ignore quasi tout de sa parentèle. Mieux que le droit du sang, mieux aussi que le droit du sol, c’est celui du cœur qui scelle les attachements : Romain Gary le dit trente ans après la Shoah, dont Madame Rosa est rescapée ; Simon Delattre le rappelle aujourd’hui, alors que gronde la bêtise raciste et que d’aucuns confondent hérédité et parenté…

L’amour et rien d’autre

« Est-ce qu’on peut vivre sans amour ? » : telle est la question qui taraude Momo. Le spectacle de Simon Delattre y répond avec douceur, sans emphase, sans élans démonstratifs ni exaltation rhétorique. Tout est dans l’évidence de la bonté qui émane de ces personnages dont les corps trop gros ou trop longs cachent des cœurs palpitants et affectueux. Le tout petit appartement de Madame Rosa, l’interminable escalier qui y mène, les trognes cabossées des marionnettes, les loupiottes qui éclairent la planque où Madame Rosa se réfugie lorsque revient l’angoisse des rafles : l’ensemble compose un univers poétique et rêveur qui ressemble à une boîte à musique ouverte par un enfant rieur et émerveillé. Tigran Mekhitarian (Momo), Maya Le Fourn (Madame Rosa), le marionnettiste Nicolas Goussef et Nabila Mekkid incarnent tous les personnages hauts en couleurs de ce roman d’apprentissage pétillant et tendre, qui valse entre gravité et humour. C’est le cœur et non pas le ventre qui fait la maman ; c’est l’amour, plutôt que le genre, qui fait les parents ; c’est la tendresse, mieux que les certificats de naissance, qui fonde les familles. Il est des évidences auxquelles notre époque devrait se résoudre sereinement…

 

Catherine Robert

A propos de l'événement


La Vie devant soi
du mardi 6 novembre 2018 au samedi 10 novembre 2018
Théâtre Jean Arp
22 Rue Paul Vaillant Couturier, 92140 Clamart

6 et 7 décembre 2018 au Trident, Scène nationale / Cherbourg. Du 16 au 18 janvier 2019 au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN. Du 24 au 26 janvier au Théâtre Massalia / Marseille. Le 29 janvier au Théâtre de Grasse. Le 1er février à La Garance, Scène nationale / Cavaillon. Du 6 au 8 mars au TJP Centre dramatique national Strasbourg Grand Est. Du 18 au 23 mars à Méliscène, Espace Athena / Auray. Le 30 avril au Théâtre de Laval. Durée : 1h45. Spectacle vu au Théâtre Jean-Arp de Clamart.


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