Théâtre - Critique

La Veillée

La Veillée - Critique sortie Théâtre


« Dallas, ton univers impitoyableDallas, glorifie la loi du plus fort… ». Le générique martèle le silence comme un entêtant slogan. Blotti dans la pénombre solitaire du salon, John fixe la télé qui crachote sa rengaine blafarde. Il revient de la crémation de sa mère. L’urne repose encore dans un sac plastique, recyclable. La « veillée » s’annonce rude. La déchirure est déjà bien ouverte avec Charlotte, sa femme. En plus, elle a gentiment invité Alan et son épouse Monika à dormir chez eux pour leur éviter de voyager en pleine nuit. Entre les deux frères, tant de tessons à vif, tant de rancœurs tenaces, ont fini par taillader les liens. Reste les apparences sous le vernis du mépris. Peu à peu pourtant, à mesure que l’épuisement gagne, les mots se dénouent. Lorsque l’alcool aura brûlé les freins de la raison, rougi les pudeurs de la haine, lorsque le chagrin aura brisé le mord du refoulé, lavé au sel les vieilles plaies, alors la peur, le désir, la violence pourront surgir dans toutes leurs forces nues, jusqu’à l’exaspération finale, déterrant les cadavres meurtris de l’enfance, aiguisant le tranchant de la parole pour couper les attaches du passé. Tenter de les couper.
 
Ni avec toi, ni sans toi
 
Dans le huis clos de cet appartement bourgeois, se livre ainsi la lutte fraternelle autour des relations douloureuses à la mère et au père. Se livre aussi une guerre sans merci au cœur des couples. Actionnant les ressorts de la culpabilité et de l’idéal familial entre Alan et Monika ; armant les mécanismes névrotiques du lien amoureux entre John et Charlotte. Où l’on découvre n’avoir en commun… que ce qui sépare. Où l’on cherche rageusement, désespérément, à se libérer de ses obsessions, à s’échapper de l’autre. Où l’on court après sa douleur. « Nous luttons avec notre imaginaire tout au long de notre vie. L’homme ne voit pas la femme, la femme ne voit pas l’homme comme une personne humaine. Sinon, ils ne se blesseraient pas si fort. Ils mènent une guerre fantasmatique. Et ces forces tirent l’essentiel de leur puissance de ce qu’elles sont niées. » confiait Lars Norén à propos de cette pièce écrite en 1983, époque où il n’eut de cesse de fouiller les nécroses familiales et les cicatrices amoureuses. Pierre Maillet et Mélanie Leray, qui avaient déjà plongé dans cette encre avec Automne et hiver l’an passé, traitent le texte en précis naturaliste de la dislocation du couple. Pierre Hiessler, Mélanie Leray, Vincent Voisin et Valérie Schwarcz forment un impeccable quatuor en scène, virtuose même. Peut-être trop. Car l’écriture de Lars Norén distille le réel en une décoction si puissante qu’elle finit par éclater le réalisme sur les cruels brisants du fantasme. Certes efficaces, les coupes opérées dans cette longue Veillée gomment la complexité du trouble jeu des désirs, la manipulation et la chosification de l’autre, la menace sans cesse renversée de la folie. Les tourments de l’impossible séparation.
 
Gwénola David

La Veillée, de Lars Norén, mise en scène de Mélanie Leray et Pierre Maillet, dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 20 octobre 2007, à 21h, sauf dimanche 17h, relâche lundi, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris. Rens. 01 43 57 42 14 et www.theatre-bastille.com. Le texte est publié aux éditions de L’Arche. Durée : 2h.

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