Théâtre

La Question



Le 12 juin 1957, Henri Alleg fut arrêté par les parachutistes de la 10e D.P.,
qui le séquestrèrent et le torturèrent à El-Biar, dans la banlieue d’Alger,
pendant un mois entier. Son crime ? Avoir été le directeur d’Alger
républicain, seul quotidien algérien libre et démocratique, avoir été
indépendant (malgré la censure et l’interdiction de parution en septembre 1955),
avoir voulu le rester. Alleg, compagnon de Maurice Audin que les parachutistes
liquidèrent en secret et au domicile duquel il fut arrêté, porta plainte contre
ses tortionnaires et publia en février 1958, grâce au soutien actif de Jérôme
Lindon, directeur des Editions de Minuit, le récit terrifiant des exactions des
militaires qui lui firent subir les pires abominations et les pires
humiliations. « 
Ça va faire mal si vous ne parlez pas. » Eau,
électricité, gégène et penthotal : l’armée française était inventive en
expédients’ Malgré l’horreur, pas de pathos dans l’exposé quasi clinique du
martyre enduré par Alleg : le journaliste résiste dans son écriture autant que
dans son corps, et décrit avec minutie les lieux, les méthodes et les visages
des inquisiteurs.

« Je n?oserais plus parler (?) si je ne savais que cela peut être utile. »

François Chattot et Jean-Pierre Bodin, en portant le texte d’Alleg à la
scène, ont voulu faire oeuvre, comme ils le disent, de « passeurs de
réalité »
, le donnant simplement à écouter, en évitant tout voyeurisme et
toute facilité lacrymale ou scandaleuse. Parce que le sujet est, hélas, toujours
d’actualité, parce que des journalistes continuent de subir ailleurs ce que
l’horreur colonisatrice osa, parce que la guerre d’Algérie n?est toujours pas
digérée par la mémoire française et que Marianne n?en finit pas de régler ses
comptes avec ses anciennes colonies, voilà un texte et un spectacle qui relèvent
de l’urgence et de la nécessité. Comme « les dreyfusards de jadis »
auxquels Pierre Vidal-Naquet comparait les défenseurs de la mémoire de Maurice
Audin et tous ceux qui se dressèrent contre les pratiques ignominieuses de
l’armée française en Algérie, Henri Alleg demeure une conscience morale et
historique à entendre : « J’ai côtoyé, durant ce temps, tant de douleur et
tant d’humiliation que je n?oserais plus parler encore de ces journées et de ces
nuits de supplice si je ne savais que cela peut être utile »
, rappelle-t-il,
avec la force de l’évidence.

Catherine Robert

La Question, adaptée de l’?uvre de Henri Alleg ; mise en scène de
François Chattot ; jeu Jean-Pierre Bodin. Du 8 mars au 7 avril 2007 à 20h30 ; le
dimanche à 15h ; relâche le lundi et les dimanches 18 mars et 1er avril. Théâtre
National de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris. Réservations au 01 53
65 30 00.

 

A propos de l'événement




A lire aussi sur La Terrasse

  • Classique / Opéra - Agenda

Katerina Ismaïlova

À la tête d'une distribution de haut vol et [...]

  • Théâtre - Entretien

Entretien Jean-Louis Martinelli
Le théâtre n?a d’autre finalité que de dire l’indicible

Les uns ont soudain trébuché sur un caillou [...]

  • Théâtre - Agenda

Pygmalion

Après On vous écrira, créé en novembre [...]