Théâtre - Critique

La Nuit des rois

La Nuit des rois - Critique sortie Théâtre


L’argument shakespearien est un songe : la riche Viola, rescapée d’un naufrage, aborde un pays énigmatique, l’Illyrie. Peinée par la disparition de son frère jumeau Sébastien, elle se déguise en serviteur auprès du duc d’Orsini qui l’enjoint à intercéder auprès de la belle Olivia dont il est amoureux. Or, celle-ci s’amourache de ce nouveau serviteur qui, de son côté, aime son nouveau maître…Nous ne dirons rien du frère jumeau poursuivi passionnément par son sauveur Antonio. La Nuit des rois fait allusion à l’Épiphanie, au temps du Carnaval qui efface les différences et renverse les hiérarchies, « une soupape nécessaire entre l’ordre et le désordre, la contrainte et la révolte, entre le rire et la servitude ». Sur la scène, les manifestations bouffonnes et grotesques viennent de ce que tout ce que l’on pensait sacré est profané et rabaissé au rang de la raillerie et du sarcasme. Il n’en fallait pas plus pour que Shakespeare l’élisabéthain – relayé par l’adaptateur et metteur en scène Rabeux – s’adonne aux inversions délurées et aux travestissements radicaux, de la femme à l’homme et vice-versa. Qu’il s’abandonne aux licences langagières les plus rudes, « quelle con d’âne, ta dame ! Fuck my soul … », qu’il se livre aux atteintes à la hiérarchie sociale, qu’il prenne plaisir enfin aux débauches forcenées et à l’ivresse fascinante.
 
Une fresque humaine enjouée aux connotations de cirque
 
Pour cette image inversée des rois mages, trois joyeux lurons revêtent l’habit de l’ivrognerie, Sir Toby, l’oncle de Viola (Claude Degliame), un ami stupide Sir Andrew (Gilles Ostrowsky) et le Fou (Georges Edmont), vêtu étrangement – slip, veste et chapeau de tulle blanc. La fête célèbre ceux que la société méprise, les sots – comme Malvolio (Christophe Sauger), intendant puritain qui va se travestir – et les fous. De quoi faire rêver au son d’une musique rock avec Seb Martel, batteur, que les acteurs rejoignent sur son podium, le temps d’une chanson. Avec une scénographie composée de panneaux métalliques d’un rouge écarlate – containers de docks maritimes, rappel d’un monde à feu et à sang – qui réduisent ou élargissent à volonté le plateau, Jean-Michel Rabeux offre une fresque humaine enjouée aux connotations de cirque et de peinture, entre la Strada de Fellini et la Classe de danse de Degas. Du fond de la nuit, brillent les teintes pastel, des touches lumineuses, vives, contrastées ou veloutées, la palette infinie de vert et bleu clair. Habits sombres pour les « messieurs », jupes en corolle et tutus aériens pour les « dames », ces chenapans trash de notre temps déclinent merveilleusement leur gaieté collective dans l’exubérance. Le plaisir est convivial même si dans l’amour, « la vraie salope c’est la douleur… » Fête, bulles et notes de mélancolie.
 
Véronique Hotte

La Nuit des rois, de William Shakespeare ; adaptation et mise en scène de Jean-Michel Rabeux. Du 4 mars au 3 avril 2011 à 20h30, mardi à 19h30, dimanche à 15h30, relâche le mercredi et le jeudi. MC 93, 1bd Lénine à Bobigny. Réservations : 01 41 60 72 72 Durée :2h20 Spectacle vu au Théâtre de Brétigny, Scène conventionnée du Val d’Orge.

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