Théâtre - Critique

La Loi du marcheur

La Loi du marcheur - Critique sortie Théâtre


Une élégance longiligne mâtinée d’une espèce de maladresse adolescente, une cinéphilie doublée d’une cinéphagie et d’une volonté de distanciation parfois ironique qui perce dans son jeu : Nicolas Bouchaud a sans doute un petit quelque chose de Serge Daney qui lui permet de prêter sa carcasse au journaliste et critique de cinéma. Cela étant, Bouchaud se garde du mimétisme et de l’incarnation. C’est davantage la voix que le personnage qu’il cherche à retrouver, davantage le rapport aux œuvres, à l’art et à la culture que la présence, même si, nécessairement, le premier est l’indice de la densité de la seconde. Décontracté et matois dans l’adresse au public, la cigarette d’une esbroufe crâne à la main, le comédien installe d’emblée le public dans une sorte de connivence, l’invitant à faire sienne l’interrogation sous-jacente aux propos de Serge Daney : celle de la nature et du plaisir de la condition de spectateur. « Spectateur en état de veille : c’est ainsi que nous pourrions peindre Serge Daney. » dit Bouchaud qui se pose lui-même comme « passeur », à l’instar de celui dont il reprend les propos, conduisant par conséquent ceux auxquels il parle à élucider leur propre art de regarder en espérant qu’elle soit une éthique davantage qu’une consommation.
 
Elucidation en spirale des postures
 
S’il joue avec la parole de Daney, conservant ses élisions, ses ruptures, ses associations libres, Nicolas Bouchaud joue également avec la matière cinématographique elle-même. Eric Didry, metteur en scène du spectacle, et Nicolas Bouchaud ont choisi de projeter plusieurs extraits de Rio Bravo, le film de Howard Hawks, une des œuvres préférées de Daney et l’objet de son premier article. Sur le plateau, le comédien de théâtre se met à badiner avec l’écran, avec une aisance clownesque impayable qui emprunte à l’enfance une liberté créatrice qui transforme John Wayne en complice et camarade d’imagination du monde. Le passage du comique à la gravité – celle de l’évocation des jeunes années, de l’image du père disparu, de la passion originelle pour les cartes de géographie et d’un rapport au temps taraudé par la question de l’authenticité de la présence – se fait avec fluidité, dressant le portrait d’un homme attachant et passionné. Passion dont Nicolas Bouchaud sait se faire le témoin physique et l’intercesseur joyeux. La scène devient alors une chambre d’échos où le cinéma et le théâtre entrent en dialogue à l’instar de Daney et Bouchaud. Le spectateur de ce dialogue en devient aussi l’acteur à part entière : si le critique de cinéma offre au comédien l’occasion d’interroger en jouant son propre rapport à l’art et au monde, il en va de même pour le public, invité à inventer le spectateur – et par conséquent le citoyen – qu’il choisit d’être.
 
Catherine Robert

La Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney), de et par Nicolas Bouchaud ; d’après Serge Daney, Itinéraire d’un ciné-fils – entretiens réalisés par Régis Debray – film de Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin ; mise en scène d’Eric Didry. Du 16 septembre au 16 octobre 2010 à 20h30 ; le dimanche à 15h30 ; relâche les lundi et le 19 septembre. Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Tél :  01 44 95 98 21. Spectacle vu au Théâtre Les Ateliers, à Lyon.

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