Théâtre - Critique

La Loi des Prodiges

La Loi des Prodiges - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Petit Saint-Martin


Reprise/Théâtre du Petit Saint Martin/ écriture et interprétation François de Brauer

C’est à une extraordinaire épopée que nous convie François de Brauer. La saga retrace le périple d’une vie, celle de Rémi Goutard, à partir du moment même de sa naissance, entre une mère frustrée et un père artiste raté, « scénariste médiocre et schizophrène de génie » selon son psychanalyste. Comme en écho à la sonnerie calamiteuse que répète Peter Sellers dans The Party de Blake Edwards, un fameux jingle qui déraille annonce et déclenche la comédie. Une comédie irrésistible dans laquelle François de Brauer déploie un talent digne des plus grands, interprétant une vingtaine de personnages avec une précision, une virtuosité et une vivacité millimétrées, sans aucun accessoire, uniquement grâce à son jeu et à sa voix qui instantanément se transforment. Avec cette apparence de facilité ou plutôt cette évidence du geste qui signifient un très patient travail. Mis à part une chaise, le plateau est nu, mais la tumultueuse aventure nous transporte d’un appartement familial à un musée, d’un plateau de télévision à une manifestation devant l’Assemblée Nationale, jusqu’à un vaste bureau de chef d’Etat tendance Ubu.

Les artistes, secte improductive

Rémi traverse diverses étapes marquantes. Son enfance d’abord puis sa jeunesse, où étudiant en histoire, il visite le musée d’art contemporain avec sa petite amie qui s’extasie devant les œuvres, alors que lui constate qu’elles sont « plus difficiles à regarder qu’à peindre » (surtout l’une d’entre elles). Sa carrière comme député, engagé dans un projet de réforme visant à faire disparaître les artistes, une secte improductive, avec face à lui son adversaire de toujours, Régis Duflou, peintre et plasticien très coté sur le marché. Ses rencontres aussi avec un clown mendiant fan de Picasso qui s’essaie maladroitement à la magie. En apothéose cauchemardesque mais toujours aussi drôle, le scénario virevoltant nous plonge dans un monde de pouvoir fantasmé. Avant une fin touchante et profonde. François de Bauer signe aussi le texte, structuré par la question centrale de l’utilité de l’art et des artistes. Là encore, c’est une remarquable réussite. L’affrontement tout en piques et saillies entre Rémi et Régis – pas si dissemblables que ça – n’a rien d’un combat entre l’obscurité et les lumières. Fin et percutant, le scénario fait émerger diverses questions comme les dérives de l’art contemporain dont les cotes s’affolent démesurément et les œuvres laissent parfois perplexes (n’est pas Marc Rothko qui veut), la condition des artistes, la fabrication de l’opinion, la disparition de la pensée, la surenchère médiatique vouée à l’audimat. Ainsi, pour éviter l’ennui, le débat télévisé entre Goutard et Duflou est agrémenté d’un hilarant numéro de jongleur à l’incroyable talent et à l’agrès plus incroyable encore (nous n’en dirons pas plus…). Le rire que ce spectacle provoque naît de mille causes. Du décalage, de l’inattendu, de l’audace de son auteur, qui fait l’éloge du doute contre les certitudes. Bravo à François de Brauer, tout simplement prodigieux !

Agnès Santi

A propos de l'événement


La Loi des Prodiges
du dimanche 16 septembre 2018 au mardi 30 octobre 2018
Théâtre du Petit Saint-Martin
Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris.

du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30. Tél : 01 43 28 36 36. Durée : 1h40.


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