Théâtre - Critique

La Festa



« J’ai compris pourquoi tu ronfles » finit par lâcher la mère, de
guerre lasse, brisant net l’obsédant ronronnement du frigo. Le mari, avachi dans
son marcel, dispute mollement, par habitude : la routine reprend son cours au
petit matin débraillé. Chacun trempe les mots dans la tiédeur amère du café,
enfile les pantoufles de son rôle. De guerre lasse. « C’est une espèce de
rituel irrationnel sur la difficulté de se tolérer
?», dit simplement Spiro
Scimone à propos de La Festa, pièce écrite en 1997. L’acteur, auteur et
metteur en scène sicilien décape pourtant au vitriol le quotidien d’un couple
scellé par le ronron médiocre de trente ans de mariage. Lui se traîne
lamentablement de bistrots en petits boulots, de combines en débine, minable
jouant les coqs d’appartement pour venger l’humiliation ordinaire. Elle,
inébranlable pilier du foyer, tout entière à l’obsession de remplir son rôle
traditionnel de femme. Ils n?ont plus de commun que l’ardeur à s’étouffer l’un
l’autre. Entre eux, Gianni, le fils chéri ou le rival tacite, qui alimente le
jeu pervers en déplaçant l’équilibre des forces. C’est justement le jour
anniversaire des noces de perle : mousseux de rigueur pour fêter ce naufrage
solidaire !

L’amour au bout rouleau

« Le rire provoqué par La Festa est très libérateur ; il est en
même temps effrayant, bien sûr, puisque nous rions de quelque chose de
monstrueux. 
» souligne Galin Stoev, qu’on a récemment découvert avec un
Oxygène
ultra tonique*. Le metteur en scène bulgare met ici le trio familial
sous cage de verre et observe. La mère (Christine Fersen, magistrale), dévideuse
d’évidences, encore imbibée de rêves adolescents, fait la coquette en douce
entre cuisine et salle de bain, fourrant le vide de l’existence de dogmes
ineptes, avalant des remèdes de magazine contre l’agonie du désir. Elle s’offre
en victime et tyran du père (subtil Gérard Giroudon), juponnard qu’on devine
fatigué par la route, et du fils (imposant Serge Bagdassarian), collectionneur
débutant. Galin Stoev gomme un peu le trait noir de Spiro Scimone, qui croque
d’un féroce coup de crayon la famille dans son quotidien étriqué et ses
archaïsmes machistes, sur fond de chômage et de misère sociale. Il assourdit la
verve grotesque, laisse sourdre la touffeur de l’ennui, l’irrémédiable solitude.
Il tire la pièce vers une chronique désenchantée de l’inexorable épuisement du
couple et l’inéluctable reproduction des schémas, faute de mieux. De guerre
lasse?

Gwénola David

La Festa, de Spiro Scimone, traduit de l’italien par Valeria Tasca, mise
en scène de Galin Stoev, jusqu’au 22 avril 2007, à 20h, sauf mardi à 19h,
dimanche à 16h, relâche lundi et le 8 avril, au Théâtre du Vieux-Colombier, 21
rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris. Rens. 01 44 39 87 00 / 01 et
www.comedie-francaise.fr. Durée : 1h. Le texte est publié aux éditions de
L’Arche.

* La Terrasse Novembre 2006.

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