Théâtre - Critique

La Duchesse de Malfi

La Duchesse de Malfi - Critique sortie Théâtre


C’est à partir d’une histoire vraie que le dramaturge anglais John Webster adapte pour la scène le destin tragique de la Duchesse de Malfi (1614). Veuve à vingt ans, la Duchesse épouse en secret l’intendant Bologna, un roturier qui lui donne deux enfants. Ils meurent tous les quatre, assassinés sur l’ordre de ses frères dont l’un, Ferdinand, Duc de Calabre, est son jumeau, et l’autre est Cardinal. Corrompus, les deux hommes de pouvoir s’opposent à cette mésalliance. L’origine moralisatrice de l’intrigue tient à ce destin féminin qu’illustre la cruauté dont les hommes sont capables quand une sœur impulsive s’écarte de son honneur de chasteté. Or, la tragédie remaniée de Webster procède d’un style vif et incisif, d’une langue moderne avec sous-entendus. Sans apitoiement sur la condition humaine, pleuvent les plaisanteries macabres et les calembours sexuels. Le mauvais goût des hommes éclate au grand jour quand la société se laisse gouverner par des ambitieux entourés de flatteurs. Passion violente, critique sociale et politique, la Duchesse de Malfi est une pièce frénétique qui dessine des personnages tourmentés, envahis de doutes à la mesure du fameux « mal anglais » mélancolique du XVIIe. Après Edouard II de Marlowe, Anne-Laure Liégeois met en scène avec une rare fascination ce chant funèbre.
 
Des reflets lunaires, des lustres de lumières
 
Autour de la beauté sensuelle de la Duchesse (Valérie Schwarcz), qui, selon son amant Bologna (Sébastien Bravard), « ternit le passé et illumine l’avenir », rôdent les deux méchants frères. Ferdinand (Olivier Dutilloy), magnifiquement vêtu de noir, est lycanthrope. Atteint du délire de se croire métamorphosé en bête féroce, il périt, perdu par son désir de régner sur les désirs de sa sœur. Quant au Cardinal (Nils Öhlund) à la vêture rouge somptueuse, il égale son frère en volonté agressive et carnassière. L’homme est un loup pour l’homme quand ne le conduisent que les passions charnelles et les instincts tyranniques du corps. Au milieu du trio, l’agent double Bosola (Olivier Constant) sert le plus offrant. La scénographie simple et splendide joue des reflets lunaires, des lustres de lumières et des allusions au théâtre dans le théâtre. Violoncelle et requiem pour Klaus Nomi, mauvais sorts et présages funestes, vanités, chouettes et belettes, galerie de squelettes, les chœurs des courtisans et des fous révèlent la précarité de l’existence. Métaphore de la fatalité, le sang est versé à vue, de petites poches d’encre rouge ou de sang d’animaux, comme aux temps shakespeariens. Au faîte, veille l’horloge détraquée de la vie qui met en ordre tous les rouages du temps dans son écoulement vers la mort et la terreur du néant, « vieux cadran de fer qui sonne l’heure aux damnés d’enfer ». La décomposition d’un monde, insolente et furieuse.
 
Véronique Hotte

La Duchesse de Malfi, de John Webster, traduction d’Anne- Laure Liégeois et de Nigel Gearing ; mise en scène d’Anne- Laure Liégeois, Du 5 au 7 janvier 2011 au CDR de Tours. Du 19 janvier au 5 février, relâche lundi, au Théâtre 71, 3 place du 11 Novembre 92240 Malakoff.Tél : 01 55 48 91 00 Durée : 3h. Spectacle créé au Festin, CDN de Montluçon et vu au Volcan, Scène Nationale du Havre en collaboration avec Arts 276/Automne en Normandie.

A propos de l'événement




A lire aussi sur La Terrasse

  • Danse - Entretien

Philippe Decouflé

Les vertiges de la beautéJalousie, Shiva, [...]

  • Théâtre - Critique

Ennemi public

Modernisant Un Ennemi du peuple d’Ibsen, [...]

  • Danse - Agenda

La Confidence des oiseaux

Ils sont perruches, étourneaux, pies ou [...]