Théâtre - Critique

La Douleur

La Douleur - Critique sortie Théâtre


Le journal de Duras qui contient La Douleur, commence le 22 avril 45, au moment de la Libération imminente de la France occupée par les Nazis, jusqu’au retour, le mois suivant, de son mari Robert L. (Robert Antelme), « ramené » fébrilement de Dachau entre la vie et la mort par des amis alliés.  L’écrivain n’aurait pas envisagé que ce journal de guerre publique et intime puisse atteindre une dimension universelle. Tardivement publié en 84, le texte est aujourd’hui pleinement révélé grâce à la mise en scène de la Douleur et de ses tourments par Chéreau pour une parole sèche et confuse, l’expression claire de la souffrance humaine. Marguerite, en ces temps odieux, attend la libération des prisonniers des camps et de Robert L. en particulier. Elle fait l’apprentissage des plaintes criées ou bien retenues par les affres du corps, du cœur et de l’âme. Abandonnée par le sommeil et la sensation de la faim, elle éprouve des émotions pénibles diffuses qui traduisent, de jour en jour et de peine en peine, l’insatisfaction face au manque âcre et insupportable de l’être aimé. Le supplice de l’absence serre et transperce la jeune femme, balançant de l’espoir au désespoir. C’est une figure errante dans l’appartement de la Rue Saint-Benoît, rivée à son téléphone, ou cheminant rue du Bac, de la Gare d’Orsay à l’Hôtel Lutetia, où l’on accueille les prisonniers et les déportés. L’affliction varie de l’amertume à l’angoisse irritée.

S’enclenche depuis la détresse une lente remontée vers la lumière

L’implorante imagine son Dormeur du val, cadavre mort dans un fossé, trou noir, bouche et mains ouvertes, une balle dans la nuque. DominIque Blanc, assise sur une chaise, tend la main à terre vers son jeune soldat gisant, tête nue. Elle redresse le buste vers le ciel, attirée par une lumière blanche perchée dans les hauteurs, un rappel de l’espérance possible. Qu’attend-elle ? L’attente même, comme les femmes qui scrutent l’horizon en comptant sur le retour de leur guerrier. Or tout bascule avec un appel de François Morland (François Mitterrand) du même Réseau de Résistance : Robert est vivant, plus mort que vivant. S’enclenche depuis la détresse, une lente remontée vers la lumière pour la survie de celui qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Faut-il manger et mourir ou ne pas manger et mourir aussi ? « Robert L. n’a accusé personne, aucune race, aucun peuple, il a accusé l’homme », se souvient Duras qui condamne les gouvernements, de passage dans l’histoire des peuples. Le crime nazi contre les juifs et les résistants repose sur une responsabilité collective, élargie au monde entier. L’interprétation sensible de Dominique Blanc sert intensément la morale d’une écriture et sa posture d’élégance. Cette attente d’un retour ardemment désiré fraye avec les langueurs d’une complainte devant laquelle on ne peut que s’incliner. 

Véronique Hotte

La Douleur
De Marguerite Duras, mise en scène de Patrice Chéreau et de Thierry Thieû Niang, du 2 au 14 décembre 2008 à 20h30 au Théâtre Nanterre-Amandiers 7, avenue Pablo Picasso 92022 Nanterre Tél : 01 46 14 70 00 www.nanterre-amandiers.com

Pièce vue à la scène nationale de Saint-Quentin en Yvelines.

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