Théâtre - Critique

La dernière bande

La dernière bande - Critique sortie Théâtre Renens-Malley TKM - Théâtre Kléber-Méleau


TKM Théâtre Kléber-Méleau / de Samuel Beckett / mes Dan Jemmett

« Quelle œuvre extraordinaire ! » souligne Dan Jemmett, qui confie avoir voulu mettre en scène La dernière bande dès ses débuts au théâtre. Il connaît Omar Porras depuis une vingtaine d’années, et c’est l’art théâtral du comédien et metteur en scène, imprégné de traditions plurielles et d’un travail sur le corps extrêmement précis, qui l’a convaincu de franchir le pas. Parmi l’œuvre de l’auteur irlandais, ce monologue intime évoque de manière particulièrement aiguë et bouleversante le rapport au temps, au parcours si fugace d’une vie, traversées de désirs et de renoncements, de douleur et de douceur. Avec la minutie d’une partition musicale, les didascalies décrivent à la fois la scénographie, l’apparence physique de Krapp – « Pantalon étroit, trop court, d’un noir pisseux. (…) Chemise blanche crasseuse (…). Surprenante paire de bottines, d’un blanc sale, du 48 au moins, très étroites et pointues. Visage blanc. Nez violacé. Cheveux gris en désordre. Mal rasé. » -, et le déroulé rigoureusement rythmé de ses actions. A chacun de ses anniversaires, depuis des décennies, Krapp, qui a échoué à devenir auteur, livre au magnétophone une chronique de sa vie. Cette activité essentielle, obsessionnelle, le tient en alerte. Vieux clown désabusé, affaibli, seul, il écoute aujourd’hui, à l’âge de 69 ans, la voix de sa jeunesse (boîte 3, bobine 5). Trente ans plus tôt, l’évidence de l’amour le saisissait au creux d’une barque tranquille dérivant parmi les roseaux…

La turne de Krapp, un théâtre réinventé

Omar Porras compose avec un talent millimétré un clown infiniment fragilisé par la vieillesse, lorsque les déplacements deviennent lents et difficiles, les gestes imprécis. Il oscille de manière impressionnante entre une spontanéité maladroite et espiègle et une gravité profonde et émouvante. Entre une joie enfantine et une tristesse insondable. Sans pathos, c’est toute la condition humaine, à la fois dérisoire et tragique, qu’exprime ainsi le dialogue de Krapp avec son passé, avec son magnétophone et ses « bobines ». Le temps demeure le maître de toute vie, le maître du théâtre aussi. Pourtant, la mise en scène souligne, malgré notre finitude, malgré le délitement et la déréliction de l’être, cette extraordinaire capacité humaine à représenter la vie à travers l’art. La turne de Krapp est ici un théâtre. A travers son parti pris, la mise en scène célèbre l’art qui traverse le temps, rend hommage à la ténacité et à l’engagement des artistes. Par ricochet, sans doute à cause de ses fameux petits cahiers noirs classés et annotés, la persévérance de Krapp nous rappelle en particulier celle d’un immense écrivain, expert en accumulation, qui se consacra tout entier à son œuvre, A la recherche du temps perdu. Sur ses cahiers inlassablement corrigés, Marcel Proust lutta avec un courage admirable pour créer une forme juste. En 1930, Beckett rédigea un essai à son sujet. Il est aussi émouvant de savoir que Dan Jemmett a rêvé mettre en scène son père, qui était acteur, dans le rôle de Krapp. Grâce à sa collaboration féconde avec Omar Porras, il maintient et porte haut l’exigence artistique. Contre l’oubli, contre la solitude. Car l’obscurité qui enveloppe Krapp est celle de l’écoute.

Agnès Santi

A propos de l'événement


La dernière bande
du mardi 14 novembre 2017 au dimanche 3 décembre 2017
TKM - Théâtre Kléber-Méleau
Chemin de l'Usine à gaz 9, 1020 Renens-Malley, Suisse

Tél : +41 21 625 84 29. www.tkm.ch


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