Reprendre dans sa littéralité le conte de La Belle et la Bête après le chef-d’œuvre filmique de Jean Cocteau n’est pas chose aisée. C’est pourtant à une stylisation de cet ordre que s’attaque le chorégraphe Thierry Malandain dans son ballet éponyme. Mais comment maintenir la part de mystère et d’ombre que ménageait le film avec ses effets spéciaux ? Malandain a distillé au sein du ballet des symboles, trois personnages en noir qui personnifient l’âme, le corps et l’artiste, des chevaux (très reconnaissables), un miroir (un danseur en costume d’un blanc argenté, plus difficile à deviner) mais aussi une clef et un gant, et surtout un jeu de rideaux qui métamorphose les différents espaces du conte, nous transportant du réel à l’imaginaire. Chorégraphiée sur différents morceaux symphoniques de Tchaïkovsky, le ballet se plie aux tonalités majeures ou mineures, énigmatiques, hivernales du compositeur. Même si l’on peut penser par moments que cette musique est un peu trop « marquée » côté romantisme, on reste fasciné par sa part obscure, particulièrement développée dans la 5e et la 6e (dite Pathétique) symphonies.
Un conte philosophique
La danse est pleine de trouvailles, par exemple dans cette scène où le Père enjambe des ronces représentées par les corps des danseurs qui roulent au sol. Mais c’est dans le traitement du groupe que Malandain excelle, qu’il s’agisse des portés acrobatiques du « Bal » ou de ces mystérieux compagnons de La Bête, réunis derrière lui en escadrons farouches, qui démultiplient la gestuelle du soliste. Très recherchés également, les décors et les costumes, très versaillais, avec ces ors noircis, ces lignes en méandres qui rappellent les meubles « Boulle », ou cette table aux pieds de bouc. Au-delà du conte de Madame Leprince de Beaumont, qui oppose la bonté à la beauté, et l’animalité à l’amour, Thierry Malandain, avec ses trois nouveaux narrateurs, l’Âme, le Corps, et l’Artiste, nous parle peut-être du sentiment intérieur du danseur, sans cesse obligé de dompter la bête qu’est son Corps pour la mettre au diapason de son Âme et devenir un Artiste qui dépasse l’homme ordinaire par ses prouesses. Avec cette œuvre, le chorégraphe s’attache, sans doute plus que jamais, à sa recherche « d’une danse qui ne laisserait pas seulement la trace du plaisir, mais qui renouerait avec l’essence du sacré comme une réponse à la difficulté d’être. »
Agnès Izrine
Tournée en cours. Spectacle vu à l’Opéra Royal de Versailles.
Tél. : 01 30 83 78 89. Durée : 1h10.
Création à La Biennale de la Danse de Lyon, Amphithéâtre de la Cité Internationale, septembre 2016.
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