Théâtre - Critique

Josiane Pinson raconte dans Marée haute la flamme de la passion amoureuse

Josiane Pinson raconte dans Marée haute la flamme de la passion amoureuse - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Le Lucernaire


Le Lucernaire / d’après Les Vaisseaux du cœur, de Benoîte Groult / adaptation et jeu de Josiane Pinson / mise en scène de Panchika Velez

De marin à mari, il y a une lettre que George ne veut pas ôter, faisant de Gauvain son amant pour la vie. Elle est l’unique et véritable amour du matelot qui a tout pour lui plaire et rien pour l’épouser : elle est sa préférence à lui, et réciproquement. La fille au prénom « sans s » sait accorder l’amour au pluriel et n’a pas la vertu des femmes de marins : elle connaît bien des aventures et visite, comme elle le dit crûment, plusieurs bites. Mais c’est à celle de Gauvain, qui a une régulière et quatre enfants en son logis, qu’elle est amarrée. Le navigateur et l’intellectuelle s’accordent pour préférer le brasier clandestin à la monotonie maritale. Ils transforment le monde entier en pays du Tendre, allant de lit en lit et de port en port, pour se ressourcer à chaque étape de cette curieuse course en mer qu’on appelle la vie. Dans Les Vaisseaux du cœur, Benoîte Groult cache sous les traits du patron de pêche rugueux et de l’écrivaine, parisienne et bourgeoise, sa passion avec un Américain, venu libérer la France et resté dans son cœur. Entre le plus fidèle des chevaliers arthuriens et la plus scandaleuse des romantiques, l’envoûtement dure trente ans, résiste aux mariages et aux vies parallèles et se moque des distances sociales, culturelles et géographiques.

Pudeur et crudité, distance et fusion

Josiane Pinson adapte librement Les Vaisseaux du cœur en un récit à la première personne. La voix de Didier Brice l’accompagne pour raconter l’embrasement des corps, le con enflammé par l’usage, l’odeur de l’amour à plusieurs milliers de kilomètres de Paris, en fonction des zones de pêche et des ressources halieutiques. L’exaspération que provoquent les fautes de français du rustique côtoie l’exaltation des retrouvailles avec son sexe, avant de retourner à Paris faire cours et écrire des livres, à côté d’hommes moins flamboyants mais plus présentables. Peut-être est-ce là, au fond, le seul scandale qui fit frémir les bourgeois, quand Benoîte Groult raconta les amours prolétaires et bretons d’une notable polyandre : qu’une femme puisse s’autoriser à s’éclater avec le bas-peuple tout en passant Noël avec la haute, comme le font bien des hommes de sa caste. Bien des catins pour patriciens pourraient témoigner qu’elles ont ainsi contribué à ce que le corps exulte et que les humeurs s’équilibrent. Panchika Velez met en scène cette adaptation et guide Josiane Pinson avec précision. La comédienne réussit brillamment à suggérer les contradictions, les paradoxes, les atermoiements, les interrogations de cette femme que son époque, son milieu et sa condition destinaient à la frigidité, et qui préféra l’ardeur d’une sensualité clandestine, joyeuse et assumée. Josiane Pinson, à la fois mesurée et vibrante, réussit à raconter tout en semblant vivre ce qu’elle raconte. Elle est touchante de bout en bout et bouleversante à la fin, quand l’amour brûle ses vaisseaux.

Catherine Robert

A propos de l'événement


Marée haute
du mercredi 15 mars 2023 au dimanche 7 mai 2023
Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris

Du mardi au samedi à 21h ; dimanche à 17h30. Tél. : 01 45 44 57 34. Durée : 1h10.


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