Théâtre - Entretien

Jean-Yves Ruf

Jean-Yves Ruf - Critique sortie Théâtre


De Comme il vous plaira, que vous avez mis en scène en 2002 à Mesure pour mesure, la question du désir trace-t-elle un lien ?
Ces deux pièces présentent des traits communs quant à la forme, composite, jubilatoire, mais elles dévoilent deux faces inverses du désir. Dans Comme il vous plaira, il a la saveur des émois adolescents. Dans Mesure pour mesure, il prend des teintes sombres, moirées, et flirte avec la mort, le déni du corps, l’aspiration à la pureté. Angelo, ascète qui voulait tant s’ériger en exemple de droiture morale, tombe malade de désir pour Isabelle, jeune femme qui se destine au couvent, venue demander la grâce de son frère condamné pour débauche. Malgré ses principes, Angelo ne peut réfréner ce violent appel de la chair, ni apaiser la brûlure. Rivé à sa fonction, à ses convictions, il se trouve complètement démuni face à l’humain, face à la sensualité des corps, face à la complexité du réel. Sa frustration se mue en passion destructrice. L’« ange » devient diabolique. Ces paradoxes ont une résonance intime pour moi, car je viens d’une famille protestante, où la religion, le désir ont posé question. Je suis heureux de travailler cette pièce avec mon frère Eric Ruf.
 
Mesure pour mesure, classé parmi les comédies « à problèmes » de Shakespeare, déborde sans cesse les frontières des genres.
Elle aborde des thématiques sociales, morales, théologiques, politiques, philosophiques qui se superposent, s’imbriquent étroitement. L’étrange disparité des thèmes fait toute sa richesse. Elle commence comme une pièce politique, tragique, puis bascule dans la pastorale, passe par la farce, les déguisements, et s’achève en comédie.
 
« Shakespeare dessine des archétypes qu’il plonge dans le réel, comme pour une expérimentation. »
 
La pièce est également troublante parce qu’elle déconstruit la rassurante dichotomie du Bien et du Mal.
Shakespeare dessine des archétypes qu’il plonge dans le réel, comme pour une expérimentation. Et observe, tout comme le Duc, mélancolique et joueur, qui manie des ficelles en coulisse. Se révèlent alors toutes les contradictions qui traversent chaque homme lorsqu’il est confronté au désir, au pouvoir, à la frustration, à la morale.
 
Pourquoi avez-vous commandé une nouvelle traduction à André Markowicz ?
La pièce agence passages en vers libres, rimés et prose, parfois au cœur d’une même scène. Je l’entends comme un opéra, avec des arias, des chœurs… André Markowicz cherche à restituer l’impression de la lecture, sans surimprimer un sens. Il traduit à l’oreille, comme un musicien, et sait trouver le ton particulier de cette langue, qui sans cesse varie de forme. Or les différents niveaux de langue ont une fonction dramaturgique.
 
Comment tenir sur le fil tranchant de la comédie et de la tragédie dans le travail avec les acteurs ?
En se laissant guider par la langue, en s’émancipant des postures dramatiques attachées à un genre. En cherchant la vérité des personnages, la sincérité du jeu, pour faire apparaître l’irréductible complexité de l’humain.
 
Entretien réalisé par Gwénola David

Mesure pour mesure, de Shakespeare, mise en scène de Jean-Yves Ruf, du 7 novembre au 2 décembre 2008, à 20h30, sauf dimanche 15h30, les 18 et 25 novembre à 19h30, relâche mercredi et jeudi, et du 10 au 13 novembre, à la MC 93, 1 boulevard Lénine, 93000 Bobigny. Rens. 01 41 60 72 72 et www.mc93.com.

Du 4 au 6 décembre à la Coupole, Scène nationale de Sénart à Combs la Ville.Rens 0160345360 et

www.scenenationale-senart.com

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