Théâtre - Entretien

Jacques Allaire / Fanon l’inaliénable

Jacques Allaire / Fanon l’inaliénable - Critique sortie Théâtre Paris TARMAC


Le TARMAC / Les Damnés de la terre / d’après l’œuvre de Frantz Fanon / conception et mes Jacques Allaire

« Fanon théorise par la pratique ; son esprit et son corps sont coextensifs. »

 

Qui est Frantz Fanon ?

Jacques Allaire : Né aux Antilles, il est ce jeune homme mort à trente-six ans dont le parcours de vie est celui d’une pensée, d’un travail, et d’une existence vouée à son temps. Combattant pendant la Seconde Guerre mondiale dans la résistance à la destruction de l’humanité par le racisme, il s’engage pleinement, mais découvre, à sa grande surprise et à sa grande honte, le racisme de l’armée française. Après des études de psychiatrie à Lyon, il est nommé à Blida, en Algérie, où il soigne les traumatismes de la guerre coloniale, ceux des victimes comme ceux des bourreaux. Le questionnement sur la colonisation est inséparable de l’interrogation sur l’aliénation du corps.

 

Dans quelle mesure corps et esprit sont-ils liés chez Fanon ?

J. A. : Il théorise par la pratique ; son esprit et son corps sont coextensifs. On sent d’ailleurs sa puissance physique dans ses textes, qu’il dictait. Il oublie les guillemets : les paroles de Césaire, Sartre, Senghor, Hegel deviennent une pensée commune. On assiste au foisonnement dramaturgique d’une pensée qui, s’activant, prend le chemin d’une autre pensée, et conduit à la question de l’aliénation via la colonisation, à la nécessité de libérer l’inconscient raciste, et au droit et devoir suprême de désaliénation. Ce chemin doit mener à un rêve, une utopie, un espoir : parvenir à l’homme illimité qui travaille toujours à son invention.

 

Comment vous emparez-vous de ces textes ?

J. A. : Il s’agit d’une traversée artistique de cette œuvre. Quand je l’ai lu, le texte m’est arrivé en plein visage : les questions qu’il pose me renvoyaient, sans que je comprenne pourquoi, au monde d’aujourd’hui, où l’humain disparaît du champ du questionnement. La colonisation peut être désormais d’ordre économique : voyez comme un corps de chômeur peut être aliéné par celui qui le regarde. C’est étrangement ça qui m’est venu : le visage désagréable de ce monde qui vit aujourd’hui en paix mais dissimule ce à quoi il travaille.

 

Comment avez-vous procédé à mettre cette parole en scène ?

J. A. : J’ai un fonctionnement suffisamment singulier pour devoir l’expliquer. Une fois traversés tous ces textes, j’interroge ce qu’il m’en reste, comme quand on se réveille d’une nuit de cauchemar ou de rêve. Je me mets alors à dessiner, sans savoir ce que je dessine. Non pas une mise en scène, mais des corps, des objets qui m’indiquent ce que je vais raconter sans être encore capable de le désigner. Après, je retourne au texte en n’attrapant que ce qui continue de m’affecter, du sentiment ou de la sensation. Je ne garde que ce qui veut rester, et je commence à travailler avec les acteurs à la table, sans indication, avec comme seul souci l’intelligence du texte. Je finis alors par comprendre ce que voulaient dire mes dessins, et des visions se constituent qui intègrent l’espace et la temporalité. La structure du spectacle s’écrit alors par tableaux. En relisant le texte avec les acteurs, je travaille à l’arrachage, au découpage, au collage. En même temps, j’écoute de la musique, et il se passe la même chose qu’avec les textes. Transformé de jour en jour et progressivement, tout le spectacle se compose ainsi.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement


Les Damnés de la terre
du mardi 5 novembre 2013 au vendredi 6 décembre 2013
TARMAC
159, avenue Gambetta, 75020 Paris
Du 5 novembre au 6 décembre 2013. Du mardi au vendredi à 20h ; supplémentaire le jeudi à 14h30 ; samedi à 16h. Le 16 novembre, de 11h à 22h, journée à la découverte de Frantz Fanon, débats et rencontres. Tél. : 01 43 64 80 80.

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