Théâtre - Critique

Iphigénie en Tauride

Iphigénie en Tauride - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre du Nord


Théâtre du Nord, Théâtre du Gymnase, Domaine d’O puis tournée / texte de Goethe / mes Jean-Pierre Vincent

La pure hospitalité, comme le formule Jacques Derrida, est un accueil sans condition, qui va jusqu’à accepter que « l’autre fasse loi chez moi ». Accueillir l’autre au risque qu’il me change : tel est le pari que fait le roi Thoas, le Scythe chez lequel Diane a mis Iphigénie à l’abri des malheurs de sa famille. Longtemps anonyme, la princesse s’est cachée sous le costume de la prêtresse. Elle a changé la loi de Tauride, en obtenant de Thoas que l’on cesse de tuer les étrangers qui entrent sur ses terres. La Grecque a adouci les mœurs de son refuge ; la femme a changé le cœur du roi, qui continue de l’aimer, même quand il apprend qu’elle est la descendante des Tantalides maudits, et même quand il accepte de la laisser repartir vers Mycènes. Quant à la femme, seule au milieu des hommes qui la menacent, la manœuvrent ou cherchent à la manipuler, elle résiste avec la force de sa vertu et son souci constant de la vérité. Cécile Garcia Fogel, qui sait allier douceur et gravité dans la musique de sa voix et de sa diction, raffinement de la retenue et exaltation dans son jeu, campe une Iphigénie vibrante et bouleversante.

Remarquable alliance de la forme et du fond

Cet équilibre guide la mise en scène de Jean-Pierre Vincent, qui n’a pas besoin des afféteries de l’actualisation pour montrer le caractère atemporel – et cruellement contemporain – du débat qui agite les protagonistes de la tragédie autour de la considération accordée aux étrangers. Tout sonne comme un appel au réveil des consciences humanistes, sans que le besoin de localisation culturelle ne se fasse sentir. Le décor de Jean-Paul Chambas contribue à cette atemporalité : l’Antiquité suggérée emprunte aux ruines chères à l’esthétique du temps de Goethe qui en redécouvrait les beautés. On est en Tauride autant que dans l’Europe tolérante des Humboldt et de Goethe, au siècle des Lumières autant que dans le noir aujourd’hui. Toujours se pose la question du dieu caché sous le visage de l’autre, celle de l’intelligence politique des femmes, et celle de la fraternité capable de rebâtir les familles et les cités ruinées. Jean-Pierre Vincent réussit brillamment à guider ce voyage « qui fait entendre des idées et nous entraîne dans le meilleur de la pensée ». Les comédiens disent le texte, faisant entendre sa démonstration tout en l’incarnant en un kaléidoscope de passions complémentaires. Les duos sont aussi réussis que les scènes chorales et le chatoiement interprétatif est à la hauteur de la jubilation bienveillante du propos. Les passions positives et l’excellence du cœur et de l’esprit apparaissent comme le baume qui soigne les plaies de la tragédie. Les Erinyes abandonnent Oreste, Thoas renonce à son caprice : telle est la victoire d’Iphigénie, enfin rendue aux siens ; telle est toujours la victoire de l’intelligence, quand la fraternité la guide. Goethe (remarquablement traduit par Bernard Chartreux et Eberhard Spreng), Jean-Pierre Vincent, et les comédiens qu’il réunit, en font l’impeccable démonstration : rarement le fond est à ce point servi par la forme.

 

Catherine Robert

A propos de l'événement


Iphigénie en Tauride
du mercredi 5 octobre 2016 au samedi 10 décembre 2016
Théâtre du Nord
4 Place Charles de Gaulle, 59800 Lille, France

Théâtre du Nord, 4, place du Général de Gaulle, 59000 Lille. Du 5 au 9 octobre 2016. Mercredi et vendredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 16h. Tél. : 03 20 14 24 24. Théâtre du Gymnase, 4, rue du Théâtre Français, 13001 Marseille. Du 11 au 15 octobre à 20h30. Tél. : 08 20 13 20 13. Domaine d’O, 178, rue de la Carriérasse, 34090 Montpellier. Les 17 et 18 octobre à 20h. Tél. : 08 00 20 01 65. Tournée : Le Granit de B elfort, les 3 et 4 novembre ; Théâtre de Caen, du 9 au 11 novembre ; Comédie de Genève, du 15 au 19 novembre ; Théâtre des Abbesses à Paris, du 23 novembre au 10 décembre. Texte publié à L’Arche Editeur. Durée : 1h50. Spectacle vu au TNS.


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